Créé en 2009 par l’énigmatique Satoshi Nakamoto, certainement le pseudonyme d’un ou de plusieurs programmeurs, il connait depuis près d’un an un fort développement. Il faut dire qu’il rompt avec un certain nombre de codes de la monnaie traditionnelle. Entièrement dématérialisé, le bitcoin repose sur un protocole basé sur la cryptographie qui certifie son authenticité. Il s’achète et se vend sur des plateformes spécialisées, ou s’obtient en récompense d’un service de « minage ». Les internautes, qui consacrent une partie de la puissance de calcul de leur ordinateur à la surveillance de la crypto-monnaie, reçoivent ainsi des bitcoin. Autre particularité : la monnaie fonctionne de façon décentralisée, sans aucune autorité régulatrice. Si, comme toute autre devise, elle permet d’échanger des biens et des services, elle peut cependant être refusée par un commerçant et ne bénéficie pas du cadre légal du Code monétaire et financier.
Bien qu’une centaine d’autres monnaies virtuelles existent (namecoin, litecoin, terracoin, etc.), le bitcoin domine très largement ses concurrents, avec 12,7 millions d’unités actuellement en circulation. Une quantité qui excédera pas 21 millions d’unité, puisque le système a défini la quantité maximale de monnaie disponible.
Mais au-delà de son aspect innovant, le bitcoin inquiète. « Peu sécurisé », « trop volatile », « outil idéal pour le blanchiment d’argent », les critiques sont nombreuses, notamment suite aux attaques des plateformes d’échange de la part de hackers. La Banque de France a ainsi publié, en décembre 2013, une note intitulée « Les dangers liés au développement des monnaies virtuelles : l’exemple du bitcoin». Elle dénonce, dans ce document le fonctionnement « anonyme » et le «caractère hautement spéculatif » de la monnaie.
Faut-il réellement se méfier de la monnaie virtuelle ? A-t-elle une utilité ou est-ce un simple centre d’intérêt de passionnés de nouvelles technologies ? Deux chercheurs, Marie Brière et Jean-Paul Delahaye, ainsi que Paul-Olivier Gibert spécialiste de la gestion des risques et de la déontologie digitale, confrontent leur point de vue.
Le bitcoin : un actif vraiment pas comme les autres

Le bitcoin a une utilité et un sens
Les monnaies virtuelles fonctionnent grâce aux principes de la cryptographie mathématique. De quoi s’agit-il exactement ? Cette discipline est née de la cryptographie militaire. Elle est devenue centrale avec l’Internet. Parmi les avancées importantes, il y a la mise au point de méthodes asymétriques (ou «à double clefs») qui permettent l’échange de messages secrets et la signature de messages sans obliger les personnes concernées à une rencontre préalable.
C’est sur ce principe de double cléfs que repose le bitcoin ? C’est un des éléments utilisé par le protocole bitcoin. Seule la personne qui détient la clé privée d’un compte peut dépenser les bitcoins qui y sont déposés. Pour cela, elle envoie un message de transaction sur le réseau, et elle le signe avec sa clef privée. Tout le monde peut contrôler la transaction grâce à la clef publique. Toutes les transactions sont enregistrées dans un cahier de compte, appelé la blockchain. Grâce à cette liste, les internautes connaissent le contenu des différents comptes. Ce système fonctionne parfaitement depuis plus de 5 ans.
Il y a pourtant eu des problèmes de sécurité. Nous l’avons encore vu récemment avec l’affaire MtGox…Les failles de sécurité ne se situent pas au niveau du protocole bitcoin, mais au niveau de certains systèmes informatiques des plateformes de change qui n’ont parfois pas été conçus convenablement (affaire MtGox). Un autre problème vient de ce qu’un hacker s’il accède à votre ordinateur pourra peut-être y trouver les clefs privées de vos comptes et alors dépenser l’argent qui s’y trouve. C’est similaire à un vol de portefeuille. Le protocole de fonctionnement du bitcoin n’est pas en cause.
Le bitcoin est souvent présenté comme révolutionnaire. Pourtant, le principe de monnaie privée est loin d’être nouveau…Les monnaies privées existaient déjà mais le fonctionnement en réseau, basé sur la cryptographie, est lui novateur. De plus, une autorité centrale est généralement chargée de la gestion de la monnaie, même dans les systèmes privés. Dans le cas du bitcoin, la construction cryptographique assure un fonctionnement décentralisé du système où personne n’a l’autorité pour créer de nouveaux bitcoins ou pour annuler des transactions validées par la blockchain.
Justement, l’absence d’autorité centrale et de régulation ne constitue-t-elle pas une limite au développement du bitcoin ?Tout dépend de la façon dont on envisage son avenir. Sans instance de régulation, la monnaie virtuelle ne pourra sans doute pas rivaliser avec le dollar ou l’euro. Elle est pour l’instant trop instable. Toutefois, elle peut parfaitement s’imposer comme un outil efficace pour des transactions de petites valeurs, ou pour des transferts d’argent à l’étranger par exemple. De ce point de vue, le bitcoin a une utilité et un sens.
Vous paraissez assez enthousiaste…En tant que mathématicien, je m’enthousiasme pour la qualité et la subtilité du protocole utilisé. C’est une construction magnifique. Même si personne ne peut prédire l’avenir du bitcoin ou de ses concurrents, il possède un intérêt économique certain. D’ailleurs de nombreuses entreprises, notamment américaines, travaillent sur des projets autour du bitcoin.
« N’enterrez pas les monnaies virtuelles trop vite ! »
En termes d’utilisation, quelles sont les avantages du bitcoin par rapport aux monnaies traditionnelles ?
Le bitcoin, et plus généralement les monnaies virtuelles, possèdent trois avantages principaux. Tout d’abord, elles offrent potentiellement des coûts de transaction beaucoup plus faibles que le système interbancaire ou les entreprises spécialisées dans le transfert d’argent. Les capacités de calcul sont en effet rémunérées par la création de bitcoin, appelée le minage. Ce fonctionnement est possible tant que nous sommes en phase d’émission de monnaie. Il faut cependant voir s’il perdurera lorsque l’utilisation du bitcoin sera plus importante. Ensuite, contrairement aux autres monnaies qui utilisent beaucoup de données personnelles, le bitcoin repose sur l’anonymat, même si les transactions sont tracées. Enfin, c’est une monnaie universelle et naturellement adaptée au e-commerce.
Sur quels éléments repose la confiance en cette monnaie ?
Il y a sur ce point une vraie rupture. Auparavant, la monnaie s’appuyait sur un étalon métallique, généralement l’or. Puis, avec le développement de la monnaie papier, le travail de gravure des imprimeurs est venu garantir l’authenticité des billets. Quant à la monnaie scripturale (chèque, carte de crédit), elle fonctionne grâce à la confiance dans un système comptable centralisé par les banques. La confiance dans le bitcoin repose sur un élément totalement nouveau puisqu’elle est fondée sur la cryptographie. On utilise le calcul pour créer une chaine de confiance et valider les transactions.
Le bitcoin est souvent critiqué pour son manque de sécurité et de fiabilité. Qu’en est-il réellement?
Les problèmes viennent souvent d’une utilisation peu sécurisée du protocole. Les premiers acteurs en matière de transaction de bitcoin viennent d’univers où les enjeux de sécurité ne sont a priori pas aussi importants que dans la finance. Le premier métier de MTGox, par exemple, c’est la bourse d’échange de carte de jeu. Cette activité n’attire pas les mêmes flux financiers ni les mêmes convoitises que les activités bancaires.
Cela étant dit les monnaies virtuelles sont très jeunes et donc facilement critiquables. Il faut toutefois se rappeler que les banques ont mis près de 200 ans pour réellement sécuriser la monnaie papier. Les attaques d’agence étaient encore fréquentes dans les années 70. Il faut du temps pour que les process de sécurité se mettent en place. Nous allons probablement voir évoluer les exigences de sécurité des acteurs.
Le bitcoin a-t-il un réel avenir ou représente-t-il un effet de mode ?
C’est un protocole qui a su bien résisté à ses difficultés et surtout il est vraiment corrélé à notre époque. La monnaie virtuelle correspond à la logique de l’économie numérique. Elle s’inscrit également dans les nouvelles formes d’échange de l’économie solidaire comme le développement du don contre don, qui pourrait demain utiliser le bitcoin pour gérer le partage entre ses membres. Après, il est impossible de savoir si c’est le bitcoin qui s’imposera, une autre monnaie virtuelle, ou peut être un nouveau protocole ? Mais les ancrages sont réels. A mon avis, il ne faut pas enterrer les monnaies virtuelles trop vite !