Malgré le volontarisme de réformer la zone euro affiché par le couple franco-allemand, les divergences politiques des états membres, en particulier celles des deux premières économies du continent restent difficiles à résoudre. Pour dépasser ces clivages et améliorer le fonctionnement de la zone euro, quatorze économistes* ont publié, mercredi 17 janvier, un rapport en leur nom avec des recommandations, intitulé « A Euro area architecture that reconciles risk-sharing with market discipline ».

Après des années d’atonie résultant de la crise économique et financière, la croissance de la zone euro semble bien orientée avec une année 2017 au-delà des 2% et des prévisions autour des 2% pour 2018. Cependant, les convergences économiques et budgétaires restent faibles et des réformes sont indispensables pour maintenir une croissance solide et limiter l’apparition de nouvelles crises des dettes souveraines.

La solidarité et la discipline de marché ne sont pas contradictoires

Alors que la France souhaiterait accroître la solidarité entre les membres de la zone euro, l’Allemagne préfèrerait, elle, renforcer la discipline budgétaire et éviter des mécanismes visant à renflouer les états les plus endettés.

Pour les quatorze économistes, auteurs du rapport, il est possible de réconcilier la solidarité entre les états et la responsabilité de chacun d’eux, mais cela passe par la conduite de six réformes qui se complètent entre-elles :

Séparer le risque bancaire du risque souverain

Aujourd’hui, les états européens émettent de la dette souveraine, qui est massivement souscrite par les banques du continent. En cas de choc sur les marchés obligataires, la solvabilité des banques serait directement affectée et pourrait créer une panique chez les particuliers.

Pour éviter cette situation dangereuse, le rapport préconise d’augmenter les ratios de capital pour les banques, qui sont trop exposées à la dette d’un pays et de mettre en place un système intégré d’assurance des dépôts. Cette solution permettrait d’éviter la contagion du système bancaire et les retraits massifs de capitaux en cas de fortes turbulences.

Modifier les règles budgétaires communes

Il est courant que la Commission Européenne sanctionne un état membre, notamment la France, pour cause de déficit excessif au-dessus de la limite des 3% du PIB. Les économistes proposent d’enterrer cette règle, qui est rigide, surtout en cas de ralentissement ou de crise économique. Pour la remplacer, il recommande d’interdire une hausse des dépenses publiques qui serait supérieure à celle du PIB.

Un tel système permettrait ainsi de faire coïncider les déficits en fonction de la croissance économique. Cette nouvelle règle serait contrôlée par une institution nationale indépendante et les dépenses excessives seraient financées par de la dette « junior » plus couteuse et donc moins avantageuse pour les états trop dépensiers.

Instaurer un système de restructuration des dettes souveraines

À l’heure actuelle, si un pays de la zone euro a des difficultés sur sa dette souveraine, il peut recourir à des prêts auprès du mécanisme européen de stabilité (MES), qui a été mis en place en 2012. Toutefois, malgré ce dispositif existant, un état, à l’image de la Grèce, peut être dans l’obligation de restructurer sa dette, car elle est devenue insoutenable. Dans ce cas de figure, la création d’un système de restructuration ordonnée et non-automatique pourrait être utile, afin d’alléger le fardeau d’un pays fortement endetté.

Créer un fonds commun pour absorber les chocs économiques

C’est l’un des gros manques de la zone euro : si un ou plusieurs pays membres subit un choc économique d’ampleur, aucune aide financière n’est prévue dans les traités européens. Dans ce contexte, les auteurs du rapport recommandent de créer un fonds européens, qui serait alimenté par les contributions de chaque membre de la zone euro.

Pour réussir cette réforme, des règles strictes devraient l’encadrer et les pays les plus instables contribueraient davantage à ce fonds. Cela éviterait de créer un cercle vicieux dans lequel les états vertueux paieraient systématiquement pour les membres en difficulté.

Lancer un actif européen « sans risque »

Toujours dans le but de renforcer la solidarité, sans rogner sur la discipline de marché, le rapport propose de lancer un actif européen regroupant un panier de dettes souveraines européennes. Cet actif serait une dette « senior » pour qu’il soit sans risque et servirait d’alternative aux dettes souveraines nationales. Dans les moments de tensions sur certaines dettes nationales, comme entre 2010 et 2012, cet actif européen pourrait accroître la stabilité financière en limitant les mouvements de défiance à l’égard des dettes nationales les plus chahutées.

Revoir les modes de gouvernance de la zone euro

La dernière recommandation des économistes consiste à séparer le rôle de surveillance et le rôle politique, qui incombent à Bruxelles. Pour ce faire, la surveillance des politiques nationales pourrait être effectuée par un commissaire indépendant, tandis que le président de l’Eurogroupe serait chargé de prononcer les éventuelles décisions à prendre à l’encontre d’un pays membre.

Pour télécharger le rapport intégral en anglais, cliquez ici

Pour consulter la synthèse du rapport en français, cliquez ici.  

*Les auteurs du rapport sont : Agnès Bénassy-Quéré (Ecole d’Economie de Paris, Université Paris 1); Markus Brunnermeier (Princeton University), Henrik Enderlein (Hertie School of Governance et Institut Jacques Delors, Berlin), Emmanuel Farhi (Harvard University), Marcel Fratzscher (DIW et Université Humboldt, Berlin), Clemens Fuest (Institut Ifo et Université de Munich), Pierre-Olivier Gourinchas (Université de Californie, Berkeley), Philippe Martin (Sciences Po, Paris et Conseil d’Analyse Économique), Jean Pisani-Ferry (Bruegel, Institut Universitaire Européen, Hertie School of Governance et Sciences Po), Hélène Rey (London Business School), Isabel Schnabel (Université de Bonn et “Conseil des Sages”), Nicolas Véron (Bruegel et Peterson Institute for International Economics), Beatrice Weder di Mauro (INSEAD et Université de Mayence) et Jeromin Zettelmeyer (Peterson Institute for International Economics).