+ Ajouter à ma sélection Faire face à la mobilité des talents 18 Sep. 2015 Actualités #chômage Dossier Entre fuite et attraction des « cerveaux », la question de la mobilité des profils qualifiés est un enjeu économique majeur. Alors que les Etats sont à la recherche du juste équilibre pour leur politique migratoire, entre ouverture et fermeture, la recherche académique analyse l’impact de ces flux de diplômés. Elle montre notamment que l’accueil de professionnels étrangers peut être un ressort d’innovation et de croissance. La diversité et complémentarité des compétences, tout comme les liens commerciaux que les immigrés nouent avec leur nation d’origine sont autant d’atouts potentiels, comme l’expliquent Hillel Rapoport, Professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à l’Ecole d’Economie de Paris et Gregory Verdugo, Maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. La mobilité étudiante a doublé en 12 ans Des dispositifs spécifiques sont ainsi développés pour attirer ces profils, dans lesquels s’insèrent les mesures d’attractivité des universités envers les étudiants étrangers. La mobilité étudiante connait en effet une importante progression. Selon le rapport 2014 de l’OCDE sur l’immigration, le nombre d’étudiants au niveau mondial faisant des études en dehors du pays dont ils sont ressortissants a plus que doublé depuis 2000, pour atteindre 4,5 millions de personnes en 2012. Lionel Ragot, Professeur d’économie à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense et conseiller scientifique au CEPII, a ainsi analysé les critères utilisés par les étudiants pour choisir leur destination. Mais même pour ces profils qualifiés, l’insertion professionnelle demeure complexe. Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, 77% des immigrés diplômés du supérieur trouvent un emploi, contre 84% pour les natifs. "L’émigration peut agir comme une incitation à la formation" Hillel Rapoport, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à l’Ecole d’Economie de Paris, est auteur de plusieurs articles de recherche sur les questions migratoires[1]. Il nous fait part de son analyse. L’arrivée d’immigrés qualifiés a-t-elle un impact sur le marché du travail local ? L’arrivée de migrants sur le marché du travail génère un double effet. D’une part, elle renforce la concurrence entre les travailleurs. Un effet de substitution entre immigrés et natifs peut alors apparaître et impacter les salaires à la baisse. D’autre part, dans le cas des travailleurs qualifiés, il y a également un effet de complémentarité, selon lequel lorsque le capital humain augmente, la productivité des individus progresse. Ce phénomène limite alors l’impact sur la baisse des salaires. Quels sont les autres enjeux de l’immigration qualifiée ? Tout d’abord, sur le plan comptable, la question est de savoir quelle est la contribution nette des immigrés aux comptes publics. Bien que les études sur ce sujet ne soient pas totalement conclusives, elles laissent penser que les immigrés qualifiés ont une contribution plus largement positive puisque leurs revenus sont plus élevés que la moyenne. Ensuite, l’internationalisation liée à l’accueil de travailleurs étrangers présente plusieurs avantages. Une immigration diversifiée permet de bénéficier d’une complémentarité de compétences liée à la diversité et d’accroître ainsi la productivité du pays. De plus, les immigrés facilitent les relations économiques avec leur pays d’origine, créant ainsi des relais de croissance grâce à des échanges accrus de marchandises, de capitaux et de savoirs. L’intérêt d’accueillir de tels profils pour les pays développés est certain. Qu’en est-il pour les pays d’origine ? Dans quelle mesure sont-ils pénalisés ? Les économistes sont passés d’une attitude très pessimiste à une attitude plus mesurée sur ce point. Dans les années 70, l’immigration qualifiée était considérée comme une forme de néocolonialisme, de la même manière que le pillage des ressources naturelles. A partir des années 90, des études empiriques sur l’impact de cette immigration ont donné des conclusions plus nuancées. Certes, si un pays voit partir tous ses diplômés, la situation est problématique. Mais un certain niveau d’émigration peut être bénéfique et agir comme une incitation à la formation. C’est ce qui s’est passé par exemple avec les médecins en Ethiopie ou les infirmières aux Philippines. Une partie de ces professionnels sont partis exercer à l’étranger. Le fait d’avoir cette possibilité a ouvert les perspectives de carrière et valorisé ces filières. Le nombre d’inscrits a augmenté, et les écoles ont amélioré leur niveau de formation afin que leurs étudiants puissent s’insérer à l’international. Par ailleurs, la diaspora permet également aux pays en développement d’accéder aux marchés économiques des pays occidentaux. La presse parle beaucoup du départ des diplômés français pour l’étranger. Doit-on s’en inquiéter ? L’émigration qualifiée a toujours existé, mais il est vrai qu’elle s’est intensifiée ces dernières années, notamment vers le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Il faut être conscient que la France connaissait un certain retard par rapport aux autres pays européens en matière d’émigration. Nous assistons probablement aujourd’hui à un effet de rattrapage. En outre, il est difficile de savoir si ces départs ne seront que temporaires ou s’inscriront dans la durée. L’analyse devra être faite dans quelques années. Enfin, l’expatriation de Français qualifiés présente aussi des avantages. Les immigrés restant souvent en relation avec leur pays d’origine, les Français expatriés constituent de bons relais vers des pays dynamiques économiquement. Les mouvements migratoires des chercheurs suivent-ils la même logique ? Selon moi, cette question est plutôt liée à un problème d’attractivité générale de la recherche plutôt qu’à une politique spécifique de migration. La gestion bureaucratique des carrières, les salaires, peuvent constituer des freins à l’attractivité de la France. En outre, une politique cherchant à favoriser l’immigration scientifique devrait être gérée au niveau européen afin de permettre à un chercheur de circuler au sein de l’Europe. Une carte de séjour, baptisée EU Blue Card, a été créée en ce sens mais des rigidités perdurent. Les choix et les pratiques d’immigration diffèrent dans chaque pays, il est donc difficile d’obtenir une réponse unique. [1] Brain drain or brain gain? The international competition to attract high-skill migrants, Oxford: Oxford University Press, 2012 The Economics of Immigration and Social Diversity, Research in Labor Economics, Elsevier, Vol. 26, 2006 Les immigrés qualifiés sont un moteur d’innovation Maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et membre de la chaire Transitions démographiques, Transitions économiques, Gregory Verdugo met en avant l’impact des immigrés qualifiés sur l’innovation. Les niveaux de qualification des populations sont très hétérogènes. Toutes les catégories se retrouvent-elles chez les immigrés ? Les flux migratoires sont assez polarisés, avec d’un côté des personnes non qualifiées et de l’autre des diplômés de l’enseignement supérieur. Les profils intermédiaires sont relativement rares. Or, dans une économie de la connaissance, où la capacité d’innovation est primordiale, chaque pays essaie d’attirer les meilleurs talents capables de créer de nouvelles entreprises ou technologies. Les immigrés qualifiés jouent-ils un rôle spécifique en matière d’innovation et d’entrepreneuriat ? Ils ont un impact extrêmement important. Dans la Silicon Valley, par exemple, près de 44% des entreprises ont été fondées par des étrangers [ndrl : selon une étude de 2012, le quart des start-ups américaines ont été créées par des étrangers][1] . De même, une analyse de Jennifer Hunt et Marjolaine Gauthier-Loiselle (2010) estime le lien entre le nombre de brevets déposés par habitant, et la part des immigrés qualifiés dans la population. Selon leurs travaux, si la proportion des immigrés qualifiés augmente de 1%, le nombre de brevets déposés croit entre 9 et 18%. Dans un contexte de croissance plate, l’enjeu est de taille. Comment expliquer cet impact ? Les immigrés qualifiés sont en moyenne plus performants que les natifs car ils doivent répondre à des exigences plus élevées. Ils bénéficient par ailleurs d’un effet de réseau avec leur pays d’origine qui leur permet de développer les échanges commerciaux. Certains économistes mettent en avant le rôle des immigrés « superstars ». Pouvez-vous présenter cette approche ? Cette analyse se focalise sur les talents exceptionnels. Elle part du principe que les « superstars » contribuent de façon particulièrement élevée à la croissance économique, notamment dans le développement de nouvelles technologies ou dans le domaine de la recherche. Pour l’expliquer de façon imagée, l’idée est qu’un Prix Nobel ne peut pas être compensé par dix ingénieurs. Ces profils sont toutefois complémentaires. Les premiers sont à l’origine de l’innovation, mais ils auront besoin des seconds pour faire fonctionner leur entreprise. Les Etats cherchent à attirer des immigrés qualifiés. Pourtant, ces derniers éprouvent des difficultés à s’insérer sur le marché du travail et occupent souvent un poste en dessous de leur qualification… Il est vrai que l’insertion sur le marché du travail demeure délicate. Cependant, les situations sont très variables selon le profil de l’individu. Le premier paramètre est le lieu de formation : l’immigré s’est-il formé dans son pays d’origine ou dans le pays d’accueil ? Les diplômés étrangers souffrent d’une forme de dévaluation de leur formation, parfois moins reconnue que les cursus nationaux. L’autre critère est évidemment celui du secteur d’activité. Les profils scientifiques et techniques trouvent plus facilement un emploi à hauteur de leurs compétences, car il s’agit de secteurs en tension. Pour conclure, pensez-vous que la France possède les atouts pour attirer les talents étrangers ? La France dispose du potentiel nécessaire. Nous avons une tradition technologique, avec des écoles d’ingénieurs reconnues et un dynamisme de la recherche. Il faut néanmoins permettre à ces immigrés de s’installer sur le territoire sur le long terme. [1] Source http://www.kauffman.org, America’s New Immigrant Entrepreneurs: Then and Now, 2012 La mobilité étudiante est guidée par la proximité linguistique et géographique Professeur d'économie à l'Université Paris Ouest Nanterre La Défense, conseiller scientifique au CEPII et chercheur associé à la Chaire Transitions démographiques, Transitions économiques, Lionel Ragot est spécialiste des questions migratoires. Il a notamment analysé les facteurs de migration des étudiants.[1] L’accueil d’étudiants étrangers a-t-il toujours été motivé par des raisons économiques ? Historiquement, l’immigration étudiante représentait un enjeu culturel et géostratégique. Il s’agissait d’un vecteur de rayonnement à l’étranger, mais également d’une forme d’aide au développement lorsque les étudiants repartaient dans leur pays d’origine à la fin de leur cursus. Depuis quelques années, l’immigration étudiante est devenue un véritable enjeu économique qui rentre dans une politique d’immigration choisie. Attirer des étudiants peut s’avérer plus efficace que d’accueillir des personnes déjà formées. Dans certains domaines, il y a des spécificités professionnelles propres à chaque pays, comme en droit par exemple. Les compétences ne sont pas totalement transférables d’un pays à l’autre. Certains pays se montrent-ils particulièrement volontaristes dans l’accueil d’étudiants étrangers ? Tout à fait. C’est le cas de l’Allemagne par exemple. Elle a notamment mis en place plusieurs mesures visant à favoriser l’intégration des étrangers à l’issue de leurs études. Le simple fait de détenir un diplôme allemand suffit ainsi à lever la règle d’opposabilité sur le marché du travail. L’employeur n’a pas à justifier l’emploi d’un travailleur étranger par des difficultés de recrutement. Vous avez mené une étude sur la mobilité étudiante au sein des pays de l’OCDE afin d’analyser leurs mouvements. Comment avez-vous procédé ? Il est important de souligner que nous nous sommes centrés sur les étudiants en mobilité, à savoir les jeunes qui quittent leur pays d’origine pour se former. Ce n’est pas le cas de tous les étudiants étrangers, dont certains ont migrés durant leur enfance. Nous avons ainsi mené une estimation économétrique à partir de données de l’OCDE, recouvrant un panel de 13 pays d’accueil. Comment les étudiants choisissent-ils leur pays d’accueil ? Les critères sont assez proches de ceux de l’immigration en générale. L’un des premiers facteurs est la proximité linguistique et géographique. Un deuxième facteur important est l’effet de réseau généré par les concitoyens déjà installés. Si une communauté est présente, l’immigration sera facilitée. La famille, les amis, vont aider l’individu en l’hébergeant à son arrivée et en lui facilitant les démarches administratives. L’effet réseau est d’autant plus fort quand la communauté est éduquée. Enfin, les caractéristiques économiques entrent en jeu, qu’il s’agisse du coût de la vie mais aussi des perspectives de travail et de salaire. Étonnement, le montant des frais d’inscription ne constitue pas un frein à l’immigration étudiante… Il existe en effet de nombreuses bourses, financées par le pays d’origine ou par le pays d’accueil, réduisant ainsi la contrainte financière. Par ailleurs, le prix de la formation peut avoir un effet signal en termes de qualité : si le cursus coûte cher c’est que les cours sont d’un bon niveau. Le Royaume-Uni a fortement augmenté ses frais d’inscription, sans pour autant subir une diminution d’étudiants étrangers. Comment se positionne la France au sein du paysage international ? La France reste un pays attractif. Elle se situe au 4em rang dans l’accueil d’étudiants étrangers, derrière les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne[2]. Bien qu’elle ne mène pas de politique volontariste, comme l’Allemagne, elle continue de bénéficier d’un intérêt marqué de la part des étudiants étrangers. En outre, l’Agence Campus France, créée en 2010 pour assurer la promotion de l’enseignement supérieur, l’accueil et la gestion de la mobilité, facilite les démarches puisqu’elle constitue un guichet unique à disposition des étudiants étrangers. [1] Les étudiants étrangers : un enjeu de la politique migratoire, CEPII 2013 [2] Source Regards sur l’éducation 2014 : les indicateurs de l’OCDE
Entre fuite et attraction des « cerveaux », la question de la mobilité des profils qualifiés est un enjeu économique majeur. Alors que les Etats sont à la recherche du juste équilibre pour leur politique migratoire, entre ouverture et fermeture, la recherche académique analyse l’impact de ces flux de diplômés. Elle montre notamment que l’accueil de professionnels étrangers peut être un ressort d’innovation et de croissance. La diversité et complémentarité des compétences, tout comme les liens commerciaux que les immigrés nouent avec leur nation d’origine sont autant d’atouts potentiels, comme l’expliquent Hillel Rapoport, Professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à l’Ecole d’Economie de Paris et Gregory Verdugo, Maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. La mobilité étudiante a doublé en 12 ans Des dispositifs spécifiques sont ainsi développés pour attirer ces profils, dans lesquels s’insèrent les mesures d’attractivité des universités envers les étudiants étrangers. La mobilité étudiante connait en effet une importante progression. Selon le rapport 2014 de l’OCDE sur l’immigration, le nombre d’étudiants au niveau mondial faisant des études en dehors du pays dont ils sont ressortissants a plus que doublé depuis 2000, pour atteindre 4,5 millions de personnes en 2012. Lionel Ragot, Professeur d’économie à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense et conseiller scientifique au CEPII, a ainsi analysé les critères utilisés par les étudiants pour choisir leur destination. Mais même pour ces profils qualifiés, l’insertion professionnelle demeure complexe. Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, 77% des immigrés diplômés du supérieur trouvent un emploi, contre 84% pour les natifs.