Quels sont les effets de la fragmentation des marchés sur la liquidité ?
Synthèse
L’augmentation croissante des échanges électroniques, cumulée aux évolutions réglementaires en Europe (directive MIF appliquée depuis le 1er novembre 2007), a conduit à une fragmentation des marchés financiers. Aujourd’hui, il existe plusieurs plateformes de cotation en concurrence sur le « Vieux Continent ». Cette compétition accrue est-elle positive pour la liquidité globale des marchés ? Quid de la liquidité locale sur les Bourses primaires ? Comment mesurer la liquidité ?
Pour répondre à ces problématiques cruciales, à la fois pour les régulateurs et les professionnels de marché, Carole Gresse a effectué une étude empirique sur des actions européennes avant et après l’application de la directive MIF. Il en ressort de nombreuses observations pertinentes. Ainsi, la liquidité globale et locale s’est améliorée avec la fragmentation des marchés, via une détente des spreads. Cependant, au niveau local, la concurrence entre plateformes peut réduire la profondeur de liquidité des petites et moyennes capitalisations. Quant à la crise de liquidité constatée en 2008, elle n’est pas due à l’entrée en vigueur de la directive MIF, mais à d’autres facteurs tels que la crise financière et les algorithmes de trading.
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Carole Gresse s’est intéressée à la fragmentation des marchés en Europe, afin d’évaluer son impact sur la liquidité. A partir de données de trading de huit Bourses fournies par l’Intelligent Financial Systems et par Markit BOAT, elle a comparé la liquidité consolidée des différentes plateformes en concurrence, dite liquidité globale, et la liquidité du marché primaire, dite liquidité locale, avant et après l’application de la directive MIF, en utilisant des mesures classiques de la liquidité comme les spreads et la profondeur de marché. Dans une première approche, la chercheuse a comparé la liquidité avant et après la MiFID, en se basant sur des moyennes mensuelles d’actions européennes, tout en évitant soigneusement l’année 2008 pour éviter les biais relatifs à la crise financière. Dans une seconde approche, elle a effectué une analyse en séries temporelles, via la méthodologie des panels pour mesurer l’impact de la fragmentation sur la liquidité, après l’application de la MiFID. Carole Gresse conclut son article par ses observations sur l’amélioration de la liquidité grâce à la fragmentation des carnets d’ordres.
- L’analyse en séries temporelles post-MiFID confirme que la fragmentation des marchés a des effets bénéfiques sur la liquidité globale. Cela est visible notamment par la détente des spreads.
- L’internalisation et le Dark Trading améliorent la profondeur de liquidité mais peuvent contribuer à élargir les spreads pour certains titres.
- Les diverses formes de Dark Trading doivent être distinguées pour évaluer leur impact réel sur la liquidité.
- La fragmentation des marchés peut éventuellement réduire la profondeur de liquidité au niveau local des petites et moyennes capitalisations. Pour ce cas de figure, les investisseurs globaux qui utilisent des Smart Orders Router (SOR) bénéficient d’une meilleure liquidité que les investisseurs locaux.
- L’assèchement de la liquidité et la forte volatilité observées en 2008, juste après l’application de la MiFID, ne sont pas dues à la fragmentation des marchés, mais à d’autres facteurs notamment la crise financière.
Comment optimiser le rythme de trading ?
Synthèse
La multiplication des échanges électroniques, l’évolution technologique et l’accroissement des interactions entre les acteurs de marché, font partie des éléments qui agissent sur le processus de formation des prix des actifs financiers. Comment modéliser ces microstructures de marché ? A quel rythme un trader doit-il acheter ? Dans quelles proportions ? Toutes ces problématiques conditionnent les profits futurs d’un trader. Elles se doivent donc d’être étudiées et résolues, tout en prenant en compte l’incertitude.
L’équipe de recherche quantitative du Crédit Agricole Chevreux a incorporé le volet incertitude dans un modèle d’optimisation du trading quantitatif très utilisé dans les salles de marché. Ces travaux permettent notamment d’établir une relation entre les prix des actifs, les quantités souhaitées et la liquidité disponible. Dès lors, un trader peut plus facilement comprendre le processus de formation des prix, lui permettant ainsi d’optimiser sa vitesse de trading et de réaliser des gains.
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Depuis l’essor du trading à haute fréquence, l’avènement de la crise financière de 2008 et les évolutions réglementaires récentes, l’augmentation de la complexité des processus de formation des prix sur les marchés financiers, est devenue un enjeu crucial pour les régulateurs et les investisseurs. Charles-Albert Lehalle et ses co-auteurs ont souhaité étudier de plus près ce sujet. Après avoir défini des notions caractérisant les marchés actuels, tels que la microstructure de marché, le design de marché ou la fragmentation des marchés, les auteurs ont expliqué l’importance des interactions existant entre les différents acteurs de marché, en les illustrant avec des exemples précis (le flash crach du 6 mai 2010 ou les différentes pannes constatées en Europe). Puis, ils ont étendu le modèle de trading optimal développé par Almgren-Chriss en 2000, en y ajoutant un point de vue statistique, afin de conclure sur des recommandations pratiques.
- Une bonne compréhension du processus de formation des prix est très importante. Les modèles ont besoin d’intégrer quelle sont les sources de leurs performances et de leurs risques entre la planification des ordres, les interactions dans les carnets d’ordres, l’impact de marché ou encore les mouvements de prix.
- Les régulateurs doivent adopter des normes en adéquation avec l’automatisation des transactions, afin de garantir un processus de formation des prix le moins manipulable possible.
- Il existe des modèles permettant d’optimiser le rythme du trading. Ils sont basés sur des équilibres moyenne-variance ou sur du contrôle stochastique.
- Les algorithmes de trading doivent être testés et leur sensibilité aux conditions de marché évaluée.
- Une bonne compréhension du processus de formation des prix est nécessaire. Une modélisation de la microstructure (en utilisant par exemple des modèles de jeux à champs moyens) permet d’éclairer les régulateurs sur l’impact d’une modification des règles des enchères.
Quelles sont les actifs financiers meneurs ?
Synthèse
La théorie financière classique a pour hypothèse l’absence d’arbitrage sur les marchés financiers et, par conséquent, l’inexistence d’actifs meneurs, qui ont un temps d’avance par rapport à d’autres. Cependant, plusieurs observations empiriques, dont celle de Frédéric Abergel et son co-auteur, ont démontré le contraire. Ainsi, dans les transactions à haute fréquence, des actifs financiers ont tendance à donner la direction à d’autres actifs. Ces phénomènes sont communément appelés effets Lead/Lag. Pour les mesurer, les auteurs ont notamment effectué des calculs de corrélations croisées et des mesures de dissymétrie sur des paires d’actifs comme des actions et des futures sur indice. Qu’ont-ils constaté ?
Les effets Lead/Lag sont plus importants entre un future sur indice et une action comprise dans cet indice, tandis qu’ils sont moins évidents entre deux actions d’un même secteur. En clair, les actifs les plus liquides sont généralement meneurs par rapport aux autres. Certes, cette conclusion était intuitivement admise par les milieux financiers, mais l’étude empirique effectuée apporte d’autres recommandations concrètes, comme prévoir à court terme l’évolution des actifs suiveurs.
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Intuitivement, il est admis qu’un actif très liquide (le leader ou le meneur) influence un autre actif à un moment ultérieur (le lagger ou le suiveur). Fréderic Abergel et son co-auteur ont souhaité étudier de plus près ces phénomènes (appelés effets Lead/Lag) entre différents actifs financiers. Tout d’abord, ils ont utilisé la base de données RTCE (Reuters Tick Capture Engine), afin de collecter les données relatives à toutes les transactions boursières. Ces données sont calculées en « tick en tick » (tout évènement qui influe sur les prix ou les carnets d’ordres), ce qui permet l’analyse d’horizons temporels très courts. Ensuite, ils ont utilisé un estimateur dû aux auteurs japonais Hayashi etYoshida, pour calculer les corrélations asynchrones et mesurer les effets Lead/Lag. Puis, ils ont effectué des mesures de dissymétrie de la fonction d’autocorrélation, dans le but d’observer les influences des actifs meneurs sur les actifs suiveurs. Enfin, ils ont comparé les effets Lead/Lag avec des indicateurs classiques de liquidité pour confirmer l’intuition de base ; avant d’étudier des cas particuliers et de conclure par des recommandations pratiques.
- L’utilisation de l’estimateur d’Hayashi et Yoshida est très utile lorsque les données analysées sont asynchrones, ce qui est le cas pour le trading à haute fréquence.
- La connaissance des effets Lead/Lag sur les marchés financiers peut être utilisée pour prévoir l’évolution à court terme des actifs suiveurs. La construction de stratégies d’arbitrage statistique est ainsi possible.
- Les effets Lead/Lag sont beaucoup plus prononcés en termes d’asymétrie et de corrélation, lorsque les variations de prix sont élevées.
- Les effets Lead/Lag sont très prononcés entre un future sur indice et une action appartenant à ce même indice, alors qu’ils sont moins visibles entre deux actions.
- L’observation du passé du contrat future permet de prévoir la prochaine évolution du midquote (prix d’équilibre entre offre et demande) d’une action dans 60 % des cas.
- Les actifs les plus liquides qui ont par exemple un faible spread entre offre et demande ont tendance à mener les autres actifs.
L’influence des échanges sur les variations de prix
Synthèse
Un méta-ordre désigne un ordre de trading très gros, qui doit être fragmenté en plusieurs parties pour être exécuté. Les fonds d’investissement réalisent la majeure partie de leurs transactions avec des méta-ordres. Pour des raisons évidentes de coûts, il est très important pour les professionnels de comprendre l’évolution des prix des actifs lors de l’exécution de méta-ordres.
A partir d’une observation empirique sur 500 000 méta-ordres et grâce au développement d’un modèle dynamique de la liquidité, l’équipe de Capital Fund Management a mesuré l’impact des méta-ordres sur l’évolution des prix des actifs. Pour Jean-Philippe Bouchaud, la théorie classique de croissance linéaire des prix en fonction des volumes n’est pas vérifiée : « La dépendance de l’impact du méta-ordre sur le volume croît comme la racine carrée du volume, contrairement à ce qu’affirme la théorie classique. L’impact est donc concave et non linéaire, comme on aurait pu naïvement le penser ».
Une autre constatation effectuée par les auteurs concerne le manque de liquidité autour du prix actuel, augmentant ainsi l’impact des petites transactions sur les variations de prix. Ce phénomène est une des causes de l’agitation des marchés financiers.
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Sur les marchés financiers, toutes les transactions – et plus particulièrement les méta-ordres réalisés par les grands fonds d’investissement – ont des incidences à la hausse (pour des ordres d’achat) ou à la baisse (pour des ordres de vente). Jean-Philippe Bouchaud et ses co-auteurs ont souhaité mesurer précisément l’impact des méta-ordres sur les variations de prix. A partir de données accumulées sur 500 000 méta-ordres effectués sur différentes classes d’actifs par Capital Fund Management (CFM), les auteurs ont montré que la variation moyenne du prix relatif entre la première et la dernière transaction d’un méta-ordre donné peut se décrire mathématiquement par une loi en racine carrée du volume du méta-ordre. En partant de l’hypothèse que les prix sur les marchés font une marche aléatoire, ils ont développé une théorie dynamique de la liquidité des marchés. Celle-ci prévoit que le profil moyen de la courbe Offre/Demande a une forme en « V » qui tend vers zéro autour du prix actuel. La loi en racine découle naturellement de ce profil en « V ». Avant de livrer leurs conclusions, les auteurs ont testé leurs arguments quantitatifs sur un marché numérique artificiel.
- La forme mathématique de l’impact des méta-ordres sur les variations de prix est complètement universelle quelle que soit la classe d’actifs analysée.
- La compréhension de l’incidence des méta-ordres sur les variations de prix conduit à des implications immédiates pour les fonds d’investissement, en termes d’optimisation des coûts.
- Une théorie dynamique de la liquidité prévoit que le profil moyen de la courbe Offre/Demande a une forme en V et tend vers zéro autour du prix actuel.
- La variation moyenne du prix relatif entre le premier et le dernier trade d’un « méta-ordre » (ordre qui doit être fragmenté en petites parties, afin d’être exécuté), est décrite mathématiquement par la loi en racine carrée.
- La liquidité sur les marchés financiers est fragile et critique, et l’impact des petits ordres est anormalement élevé.
L’influence des informations non-fondamentales sur les cotations
Synthèse
Comment les teneurs de marché réagissent-ils aux informations non-fondamentales ? Quel est le rôle de ces informations dans le processus de formation des prix ? Quels sont les effets de la pré-ouverture de la Bourse sur les cotations quotidiennes ?
Les informations non-fondamentales se définissent par des chocs de liquidité pouvant affecter provisoirement les prix. Les firmes uniquement spécialisées dans la tenue de marché se concentrent sur ce type d’informations pour réaliser leurs opérations, car elles ne disposent pas d’informations fondamentales. En réalisant son étude empirique sur l’activité des teneurs de marché en pré-ouverture du Nasdaq, Laurence Lescourret a relevé plusieurs points importants pour la communauté financière. Cette étude contribue à donner des preuves directes de la relation entre la richesse de l’information non-fondamentale et le processus de formation des prix par les teneurs de marché.
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Sur le Nasdaq, en 1996, certaines firmes de teneurs de marché ont comme activité unique la tenue de marché (par exemple, Knight Securities), à la différence d’autres, également banques d’investissement (e.g., Goldman Sachs), avec des métiers plus diversifiés. Ces teneurs de marchés spécialisés, désignés comme « wholesalers », payent des courtiers extérieurs pour recevoir des ordres provenant d’investisseurs non informés. A partir de données de prix de préouverture contenant les identifiants des teneurs de marché, Laurence Lescourret a suivi l’activité de cotation de chaque firme et testé si leur activité en préouverture était liée à la révélation d’informations non-fondamentales. Tout d’abord, elle a testé si l’intensité de l’activité de cotation était liée à des mesures de rebonds transitoires des prix d’ouverture. Ensuite, elle a effectué une régression logistique pour déterminer la probabilité qu’un teneur de marché entre des cotations indicatives en préouverture en fonction de variables d’intérêt. Enfin, elle a analysé si l’activité de soumission de cotations indicatives prédisait les déséquilibres temporaires du flux d’ordres de l’ouverture et de la journée.
- Les résultats valident l’hypothèse que les mesures de rebonds transitoires des prix d’ouverture (les pressions sur les prix à cause de l’illiquidité) sont liées à l’intensité de l’activité de cotations des teneurs de marché en pré-ouverture du Nasdaq.
- La probabilité pour les teneurs de marché de placer des cotations indicatives est liée à la nature de l’information détenue : les wholesalers ont une probabilité plus grande de coter en préouverture s’il y a un choc de liquidité, alors que les banques d’investissement ont une probabilité plus forte de placer des cotations indicatives les jours où la révélation d’information fondamentale est forte.
- Les teneurs de marché agissent sur le processus de formation des prix d’ouverture, via le placement de cotations indicatives en pré-séance.
- L’information sur les pressions transitoires sur les prix, par définition non-fondamentale, est très importante pour l’activité des teneurs de marché.