Avec la révolution numérique, les données sont abondantes et davantage disponibles. Dans ce contexte de mutation, le secteur financier, en particulier la gestion d’actifs, doit faire preuve d’adaptation pour analyser les données dites alternatives, c’est-à-dire non financières. Le programme de recherche Finance and Insurance Relodaed (FaIR) de l’Institut Louis Bachelier (ILB) et l’Association Française de Gestion (AFG) ont organisé un webinaire sur ce sujet, le 10 février dernier.

« Avec les avancées récentes dans l’analyse de données, nous avons désormais accès à des bases de données larges et complexes provenant, par exemple, des volumes de consommation ou d’investissement des particuliers, du trafic sur le web, des médias, des réseaux sociaux ou encore de l’imagerie satellite etc… Toutes ces données apportent des informations précieuses sur les comportements économiques des individus ou des entreprises, et ont de nombreuses applications pour les investisseurs. Les sociétés de gestion d’actifs et les hedge funds ont déjà considérablement investi dans les données alternatives. Et cette tendance est vouée à croître, en raison des besoins grandissants, notamment sur les données ESG. Les données alternatives offrent de nouvelles perspectives, mais elles ont aussi des limites comme le manque de profondeur historique ou des biais de sélection », a contextualisé, en introduction du webinaire, Marie Brière, directrice scientifique du programme FaIR, qui a donné la parole à Guillaume Simon, chercheur quantitatif au sein de Capital Fund Management, et président de Club des Techniques Quantitatives de la Finance de l’AFG, qui a brièvement présenté l’initiative du Club. Celui-ci, lancé par l’AFG il y a plusieurs années, regroupe des professionnels et des académiques pour échanger sur des sujets techniques liés à la gestion d’actifs.

Les données alternatives peuvent être onéreuses

Après ces messages préliminaires, Alexander Denev, anciennement responsable de l’Intelligence Artificielle chez Deloitte et maître de conférences en mathématiques financières à l’Université d’Oxford et co-auteur de l’ouvrage de référence The Book of Alternative Data: A Guide for Investors, Traders and Risk Managers, a présenté ses travaux de recherche sur les données alternatives, en particulier les défis à relever dans leur utilisation par l’industrie financière. « La quête de talents pour analyser les données alternatives est un gros challenge. Cela constitue une barrière à l’entrée importante, car les data scientists coûtent chers », a-t-il indiqué. Un autre défi d’envergure concerne les aspects légaux liés à l’acquisition et à la vente de données alternatives, qui dépendent fortement des zones géographiques. « En Europe, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) est une régulation importante pour la protection de la vie privée. Il y a donc des limites dans l’achat et la vente de données, car il faut s’assurer du consentement des utilisateurs », a-t-il souligné.

Parmi les autres défis à relever, le spécialiste a notamment mentionné : les données manquantes, la structuration des données ou encore les anomalies. Par ailleurs, Alexander Denev a relevé que de nouveaux risques pouvaient apparaître avec l’utilisation de données alternatives, liés à la provenance des données et leur précision, l’inclusion de ce type de données dans les modèles d’investissement, les ressources humaines et les aspects légaux. Dans la suite et la fin de sa présentation, l’expert a prodigué des conseils sur les moyens de trouver les bases de données alternatives adéquates, tout en alertant sur les coûts d’acquisition qui peuvent être élevés selon les cas.

Les médias : une source importante de données alternatives

Le webinaire s’est poursuivi avec l’intervention de Ronnie Sadka, professeur de finance au Boston College et co-fondateur de la fintech MKT MediaStats dont  « le but est de combler le fossé entre la finance et les données en proposant des solutions sur les données alternatives », a-t-il précisé, avant de partager son expérience dans le domaine en donnant quelques exemples dans lesquels les donnes alternatives sont utiles comme celui-ci : « Mesurer le comportement des consommateurs en analysant le trafic de recherche sur le web (lieux et horaires des magasins notamment) apporte de nombreuses indications sur les intentions d’achat des consommateurs. Ces informations aident ensuite à faire des prévisions sur les résultats des entreprises ».

Ensuite, le spécialiste s’est penché sur la détection des thématiques émergentes ou récits (narratives en anglais) et de leur importance pour les marchés financiers : « Le recours au Big Data, dans ce contexte, permet de mieux cerner ce qui se passe dans le monde ». Concrètement, il a classifié ces « récits » en trois catégories : ceux qui concernent l’évaluation des actifs, par exemple boursiers en observant notamment les réseaux sociaux ; les récits liés à des variables macroéconomiques (PIB, inflation, taux de chômage…) dont les publications ne sont pas quotidiennes et qui nécessitent des prévisions entre chaque annonce ; les récits concernant des éléments intangibles difficiles à mesurer comme les événements géopolitiques : Brexit, guerres commerciales, crise de la Covid-19, pénuries, etc.

« La solution pour quantifier l’importance de ces récits est d’observer leur couverture médiatique dans les différents types de presse disponibles (généralistes, spécialisés…) », a expliqué Ronnie Sadka. Avec cette méthode, il est ainsi possible de détecter des tendances en fonction du nombre d’articles qui les abordent. En clair, les médias constituent une bonne source. « Les données alternatives peuvent être très utiles si elles sont utilisées correctement. L’un des cas d’usage est qu’avec les médias, on peut quantifier l’importance de certains récits dans la presse et leur impact sur les marchés, et ainsi mieux comprendre ce qui suscite l’attention des investisseurs », a conclu Ronnie Sadka.

Enfin, ce webinaire s’est clôturé par une table ronde intitulée « Alternative Data: Opportunities  and Challenges for the Asset Management Industry », modérée par Charles-Albert Lehalle (Global Head – Quantitative Research & Development de l’Abu Dhabi Investment Authority (ADIA)), avec les interventions de Ghizlaine Amrani (co-fondatrice et COO, Quantcube Technology), Pierre Haren (PDG et co-fondateur de Causality Link) et Eric Lebigot (Head of Data Sourcing au sein de Capital Fund Management). Enfin, Adina Gurau Audibert, responsable de la gestion d’actifs à l’AFG, a clôturé l’événement sur les challenges réglementaires liés à l’utilisation des données alternatives.

Pour visionner le replay de cet évènement et accéder aux slides de présentation, cliquez sur le lien ci-dessous :

https://www.institutlouisbachelier.org/multimedia/ilb-replay/