+ Ajouter à ma sélection Les mesures du risque de contrepartie des produits dérivés 19 Sep. 2016 Actualités #gestion des risques Cahier La Fédération bancaire française (FBF) a été une des premières associations professionnelles à soutenir, dans le cadre de l’institut Europlace de Finance, des chaires de recherche dédiées aux réflexions académiques sur les marchés financiers : la chaire “chaîne de valeur, marchés financiers et banque d’investissement”, en partenariat avec l’institut d’economie industrielle (IDEI) ; la chaire “les innovations et la régulation dans la banque d’investissement”, en collaboration avec l’EDHEC Business school, et la chaire “Marchés en mutation”, avec l’École Polytechnique et l’université d’Évry. Cette démarche répond à la fois au rôle de leader qu’occupent les banques françaises au niveau européen sur ces activités de marchés et à la notoriété internationale de la recherche française. L’ensemble des études produites par les trois chaires FBF font l’objet d’ateliers de discussions entre les universitaires et les professionnels des banques. Cette dynamique crée ainsi les conditions d’un dialogue indispensable entre la recherche académique et le monde bancaire. La crise financière a, en effet, mis sous le feu des projecteurs l’importance des marchés de produits dérivés de gré à gré compensés et non compensés, ainsi que leur utilité économique pour les entreprises et les investisseurs, afin de maîtriser les risques de financement et de placement sur les marchés financiers. Conformément aux accords du G20, la réglementation européenne dite eMirsur les produits dérivés négociés de gré à gré, sur les contreparties centrales et les référentiels centraux a défini les règles et les niveaux de garantie permettant de gérer efficacement le risque des opérateurs. Le présent cahier est l’occasion de valoriser et de révéler les dernières réflexions des chaires FBF sur le risque de contrepartie, les chambres de compensation et l’activité des banques sur les produits dérivés. Vous y trouverez ainsi des réponses développées par les chercheurs académiques aux questions fondamentales suivantes : comment répartir efficacement les risques dans un système financier interconnecté et l’évaluation du coût du risque de contrepartie pour un membre d’une chambre de compensation ? Comment les appels de marge agissent-ils sur les prix d’équilibre et comment réduire le risque de contrepartie sur les produits dérivés de gré à gré non compensés centralement ? Par ailleurs, ce numéro donne pour la première fois la parole à des professionnels qui livrent leurs regards de “praticiens”, en examinant la modélisation des risques chez LCH, un des organismes de compensation les plus importants sur le continent. Toutes ces interrogations sont essentielles pour préserver la stabilité financière sans brider les innovations. Bonne lecture ! Marie-Anne BARBAT-LAYANI Directrice Générale de la FBF Comment répartir efficacement les risques dans un système financier interconnecté ? Si la crise financière a mis en lumière les risques liés aux interdépendances entre les multiples acteurs ou composants d’un même système, les modèles pour mesurer les risques reposent essentiellement sur des scénarios historiques, en particulier sur les marchés des produits dérivés. D’après l’article “Multivariate shortfall risk allocation and systemic risk”, de Yannick Armenti, Stéphane crépey, Samuel Drapeau et Antonis Papapantoleon, ainsi qu’un entretien avec Stéphane Crépey. La crise des “subprimes” de 2007 aux États-unis a entraîné l’économie et la finance mondiale dans une spirale sans précédent. Cette situation a notamment conduit à la faillite en septembre 2008 de Lehman Brothers, l’une des banques d’investissement les plus importantes de la planète. En plus de provoquer un assèchement des liquidités sur les marchés, ce défaut a accentué l’attention des régulateurs sur le risque de contrepartie et, plus globalement, sur l’apparition d’un éventuel risque systémique susceptible de contaminer la finance internationale. La réglementation sur les produits dérivés évolue Pour éviter ce scénario catastrophe, les autorités financières mondiales, par le biais du G20 de Pittsburgh en septembre 2009, ont adopté de nouvelles réglementations, dont celle ayant pour objectif d’accroître la transparence sur les produits dérivés négociés de gré à gré. En europe, ces mesures ont été traduites dans le règlement EMir (European Market infrastructure Regulation), entré en vigueur en août 2012. Outre une plus grande transparence imposée aux contrats de produits dérivés négociés de gré à gré, cette législation impose le recours systématique à la compensation par contrepartie centrale pour les produits dérivés standardisés. “L’approche développée par les chercheurs mesure le risque de dépendance croisée entre les membres d’un système financier” En clair, les transactions sur ces produits financiers doivent passer par une chambre de compensation centralisée (ccP) qui se charge de gérer le risque de contrepartie entre tous les acheteurs et tous les vendeurs qui en sont membres (banques, sociétés de gestion, hedge funds…). Concrètement, la CCP procède à des appels de marge quotidiens en fonction de l’évolution des positions prises par ses différents membres. Par ailleurs, les membres d’une CCP doivent déposer un dépôt de garantie, en capital, à la CCP qui pourrait l’utiliser en cas de défaut de l’un ou plusieurs de ses membres. Toutefois, en dépit de cette évolution, de nombreuses problématiques demeurent. comment mesurer le risque systémique global lié à la dépendance des acteurs ? Quel est le risque de chaque membre ou composant d’un système financier interconnecté ? Quelles sont les solutions pour les régulateurs et les différents acteurs d’un système interdépendant ? Une approche différente pour mesurer les risques Pour répondre à ces interrogations cruciales, Stéphane Crépey et ses co-auteurs ont développé un modèle inédit pour mesurer les risques financiers. celui-ci inclut des fonctions mathématiques de pertes, tout en se basant sur une approche spécifique qui consiste à calculer la répartition des risques entre chaque membre d’un système financier interconnecté, avant de les agréger. “En pratique, les mesures du risque se basent sur des scénarios historiques. Nous avons souhaité aller plus loin en développant une mesure du risque plus en phase avec des propriétés issues de la littérature économique telles que la convexité, la diversification et la dépendance. Notre approche permet ainsi d’obtenir des valeurs de probabilités concrètes estimant la dépendance entre les membres d’un même système”, explique stéphane crépey. L’autre apport des chercheurs figure dans les différents schémas numériques utilisés qui améliorent la faisabilité des calculs. “le paramètre de dépendance n’est habituellement pas pris en compte, car il alourdit les calculs. Notre modèle de mesure du risque est une réponse à cet obstacle”, souligne Stéphane Crépey. L’inclusion des interconnections dans les fonds de garantie des CCP La réglementation actuelle européenne (règlement eMir) préconise aux CCP de mesurer leurs risques en fonction de leurs expositions relatives à chacun de leurs membres. Quant aux calibrages des fonds de garantie, ils se basent sur le scénario dans lequel les deux plus grands membres d’une CCP feraient défaut. “Même si cette réglementation contient une dimension systémique, elle reste basée sur des scénarios historiques et une dimension arbitraire des CCP qui se remettent au risque individuel des uns et des autres. Or, les interconnexions entre les membres devraient être mieux prises en compte dans l’allocation du fonds de garantie entre les différents membres d’une CCP”, recommande Stéphane Crépey. Le risque de dépendance croisé est mesurable L’approche développée par les chercheurs mesure le risque de dépendance croisée entre les membres d’un système financier. Cela permet donc de calculer finement les apports en capitaux de chaque membre dans le fonds de garantie d’une CCP. “Pour les régulateurs, notre approche peut constituer une nouvelle règle à appliquer. Ils peuvent toutefois maintenir la réglementation actuelle s’agissant du niveau total de capital ou de marge à appliquer à un système financier interconnecté comme les membres d’une CCP ou une banque centrale et des banques commerciales, et utiliser notre approche pour l’allocation de ce total entre les différentes composantes du système”, explique Stéphane Crépey. Du côté des professionnels, l’importance de l’allocation des risques entre différents membres ou composants d’un système confère deux applications concrètes : “Premièrement, un gestionnaire d’actifs peut comprendre et évaluer le risque de chaque composant de son portefeuille. Deuxièmement, si un gérant doit liquider rapidement un portefeuille, il peut éliminer en priorité les composants les plus risqués”, conclut Stéphane Crépey. Méthodologie Stéphane Crépey et ses co-auteurs ont étendu à un cadre multivarié l’approche classique de mesure du risque dénommée “Shortfall Risk”. Avec cette démarche, les chercheurs sont parvenus à mesurer le risque en fonction de la dépendance de chaque membre appartenant à un système financier interconnecté. Ce modèle – qui inclut pour la première fois des fonctions de pertes sensibles à l’interdépendance du système – a donné lieu ensuite à des schémas numériques pour mesurer le risque systémique global et aboutir ainsi à des résultats concrets. L’évaluation du coût du risque de contrepartie pour un membre d’une chambre de compensation Depuis la récente crise financière de 2007-2009, les régulateurs ont incité les acteurs financiers à passer par des chambres de compensation pour réaliser leurs transactions sur les produits dérivés de gré à gré standardisés. Est-ce pour autant plus avantageux financièrement que les opérations bilatérales ? D’après l’article “Central clearing valuation adjustment”, écrit par Yannick armenti et Stéphane crépey, ainsi qu’un entretien avec ce dernier. Alors qu’elles sont méconnues du grand public, les chambres de compensation centrales (CCP) ont gagné de l’importance sur les marchés financiers au cours de ces dernières années. Dans le cadre du trading centralisé, une CCP s’intercale entre les acheteurs et les vendeurs pour gérer leur risque de contrepartie. Le but est de réduire le risque de contrepartie, qui s’est accentué après la chute de Lehman Brothers en septembre 2008, ainsi que d’accroître la transparence des opérations vis-à-vis du régulateur. Le G20 de Pittsburgh en septembre 2009, relayé en europe par le règlement européen EMIR d’août 2012, a ainsi décidé d’imposer progressivement la compensation centrale sur les produits dérivés de gré à gré standardisés (swaps de taux, options sur actions, devises, matières premières…). Toutefois, plusieurs problématiques émergent. la compensation centrale confère-t-elle les bénéfices attendus ? Est-elle plus ou moins coûteuse que les opérations bilatérales ? Comment les CCP gèrent-elles le risque de contrepartie ? Les effets dominos sont moindres dans une CCP Selon les régulateurs, les avantages de recourir à une CCP sont multiples. D’abord, le risque de contrepartie est moindre que dans le cadre d’opérations bilatérales, contribuant ainsi à réduire les effets de contagion de défaut entre acteurs financiers. Ensuite, la transparence sur les transactions centralisées est plus élevée du point de vue du régulateur (contrats standardisés et accès centralisé aux données s’il en a besoin), ce qui contraste cependant avec l’opacité ressentie par les banques quant à la détermination du fonds de garantie des CCP. Enfin, le défaut d’une contrepartie est mieux géré dans le cadre d’une CCP, car elle dispose de plusieurs “coussins de sécurité” et de stratégies de résolution éprouvées pour assurer la liquidation d’un ou plusieurs de ses membres. “Une CCP dispose de plusieurs “coussins de sécurité” et de stratégies de résolution éprouvées pour assurer la liquidation d’un ou plusieurs de ses membres” De fait, les CCP exigent de leurs membres des garanties financières pour gérer le risque de contrepartie. Premièrement, les membres versent des marges dites de variation (appels de marge) pour compenser les variations quotidiennes (voire davantage) de leurs positions ouvertes sur les marchés. Deuxièmement, les membres doivent déposer des marges dites initiales – réévaluées aussi quotidiennement – servant de rempart au glissement du portefeuille d’un membre durant les quelques jours séparant le défaut de la liquidation du portefeuille. Troisièmement, les membres ont l’obligation de contribuer en capital au fonds de garantie d’une CCP, qui pourrait être utilisé pour couvrir des pertes d’un membre en défaut si ses marges propres ne suffisent pas. “Les marges postées par un membre ne peuvent être mobilisées qu’en cas de défaut de ce membre, tandis que le fonds de garantie peut également faire payer les pertes d’un membre en défaut par les autres membres non défaillants”, remarque Stéphane Crépey. Le coût du risque de contrepartie dans le cadre du trading centralisé Le chercheur et son co-auteur se sont donc intéressés au coût total (CCVA pour “Central Clearing Valuation Adjustment”) pour un membre d’effectuer une transaction via une CCP. La CCVA d’un membre d’une CCP se décompose de la manière suivante : • le CVA est le coût pour un membre de contribuer à nouveau au fonds de garantie si ce dernier est impacté par le défaut d’autres membres • le MVA correspond au coût de financement des transactions, c’est-à-dire au coût pour un membre de devoir lever des marges initiales (le coût des marges de variation étant compensé par les variations du portefeuille lui-même). • le KVA est le coût du capital placé dans le fonds de garantie de la ccP. En d’autres termes, cela représente l’immobilisation de capital qui est non rémunérée pour les membres de la CCP et leurs actionnaires. “Le coût en capital est plus élevé en CCP qu’il n’y paraît à première vue, s’approchant finalement du coût en capital des opérations bilatérales” “D’un point de vue pratique, le problème réside dans le calcul de ces trois composantes. Nous avons développé un cadre méthodologique permettant d’aider les banques à calculer leur CCVA. en toute rigueur et en l’absence d’approximation, de tels calculs ne peuvent être menés sans une collaboration entre les membres et la CCP elle-même, car seule la CCP connaît les positions des autres membres, qui impactent le fonds de défaut”, explique Stéphane Crépey. Les contributions aux fonds de garantie d’une CCP ont un coût élevé En comparant les coûts relatifs à des opérations bilatérales et ceux en CCP, les auteurs sont parvenus à des structures d’équations identiques. Après avoir éliminé certains biais relatifs au netting des positions, ils sont même arrivés à des ordres de grandeur assez similaires, malgré des données très différentes résultant de la différence des réseaux entre ces deux catégories d’opérations. Le coût en capital est plus élevé en CCP qu’il n’y paraît à première vue, s’approchant finalement du coût en capital des opérations bilatérales. “Pour promouvoir les CCP, les régulateurs ont exigé des montants en capital réglementaire dérisoires pour les acteurs qui y ont recours. Toutefois, ces montants ne prennent pas en compte les contributions en capital des membres au fonds de garantie. Pourtant, elles représentent un coût élevé, car elles ne sont pas rémunérées pour les membres et leurs actionnaires”, estime Stéphane Crépey. “Les bénéfices à recourir à une CCP ne sont pas si évidents, car il existe pas mal de contraintes comme la sélection des membres, les droits d’entrée et le coût du capital. Sinon les banques y auraient eu recours spontanément avant que cela ne devienne obligatoire”, conclut le chercheur. Méthodologie Stéphane Crépey et son co-auteur ont incorporé les principes généraux d’analyse XVA dans un cadre de transactions en réseau centralisé, afin de l’appliquer à un membre d’une chambre de compensation (ccP). cette étape leur a permis d’obtenir les trois composantes du coût du risque de contrepartie et ses implications en termes de capital et de coût du financement pour un membre d’une CCP. Ensuite, ils ont établi un modèle simplifié pour obtenir divers scénarios étudié sur la base de simulations de Monte Carlo. Comment les appels de marge agissent-ils sur les prix d’équilibre ? Si les exigences de marges pour les transactions de produits dérivés de gré à gré ont été largement réévaluées par les régulateurs depuis la crise financière, encore faut-il que ces mesures soient réellement efficaces pour éviter de nouveaux krachs. L’une des principales fonctions des marchés financiers est de permettre à leurs participants de partager les risques. Mais ce partage des risques n’est effectif que si les contreparties ne font pas défaut, comme la crise de 2008 nous l’a vivement rappelé. À cette époque, le marché des CDS (credit defaut swap) représentait un volume de 57 300 milliards de dollars dans le monde, d’après la Banque des règlements internationaux. Face à ces montants colossaux, mais surtout la détention de plusieurs centaines de milliards de dollars de CDS par certaines institutions, comme l’assureur américain aiG, les incertitudes entourant les risques de contrepartie sur cette classe d’actifs de produits dérivés (et bien d’autres encore comme les options, les futures…) ont causé un vent de panique sur les marchés financiers. Pour les stabiliser et accroître la transparence de ces produits dérivés, les régulateurs ont exigé des garanties supplémentaires, notamment en incitant les acteurs financiers à recourir à des chambres de compensation centralisée (CCP). Les CCP ont pour mission d’assurer leurs membres contre le risque de contrepartie. Pour mener à bien cette mission, elles doivent calculer et appeler des marges. Bruno Biais et ses co-auteurs s’efforcent d’analyser les conséquences de ce mécanisme, ses coûts et ses avantages, en particulier au regard de sa capacité à réduire ou tempérer les crises financières. Les appels de marge et les CDS couvrent deux risques distincts Si les mécanismes économiques sont plus généraux, ils peuvent être illustrés dans le cas du marché des CDS, un instrument financier procurant une protection contre le défaut d’une contrepartie. “Le rôle des appels de marge est de réduire le risque de contrepartie” Prenons ainsi l’exemple d’un détenteur d’obligations d’une banque italienne qui est averse au risque. Il achète des CDS auprès d’un trader (ou investisseur) pour se couvrir contre le risque de défaut de l’émetteur. Le contrat entre ces deux parties prévoit le paiement d’une prime d’assurance par le porteur d’obligations en échange d’une protection financière (définie à l’avance) du trader en cas de faillite de la banque italienne. Dans cette opération bilatérale, des appels de marge sont calculés régulièrement pour tenir compte du risque de contrepartie. En cas de mauvaises nouvelles concernant cette banque italienne, les engagements du vendeur de protection augmentent sensiblement. C’est pourquoi la partie qui a acheté des CDS exige davantage de marges de la part de sa contrepartie. “Dans cet exemple, le porteur d’obligations est confronté à deux risques : la faillite du sous-jacent (la banque italienne) et le risque de contrepartie en cas de défaut du vendeur de protection. Les CDS couvrent le premier risque, tandis que les appels de marge protègent contre le second”, souligne Bruno Biais. Les bénéfices et le coût des appels de marge Le rôle des appels de marge est de réduire le risque de contrepartie. Pour les régulateurs, c’est un argument en faveur des CCP, qui gèrent les appels de marge. Reprenons notre exemple précédent. si l’offreur de protection (le trader) a vendu beaucoup de CDS pour couvrir le défaut de la banque italienne et que celle-ci subit des difficultés, les engagements de l’investisseur vis-à-vis des assurés s’alourdissent. Il s’agit, en quelque sorte, d’une dette (hors bilan) pour le vendeur de CDS. Dans ce contexte, un problème d’aléa moral peut se poser. Alors que l’acheteur de CDS ne peut observer précisément toutes les actions du vendeur de CDS, l’endettement élevé de ce dernier peut l’inciter à prendre des risques excessifs. “Les appels de marge peuvent avoir des effets ambigus sur le marché, car ils provoquent des externalités négatives de liquidation” Les appels de marge peuvent tempérer ce problème. Pour répondre à l’appel de marge, le vendeur de CDS doit liquider certaines de ses positions, pour déposer des actifs sûrs et liquides sur son compte de marge. Cela réduit sa capacité à prendre des risques excessifs. Mais ces appels de marge n’ont pas que des avantages, car ils peuvent déclencher une spirale négative. “Si le vendeur de protection doit vendre beaucoup d’actifs rapidement pour satisfaire aux exigences de marges de ses contreparties, cela peut conduire à une baisse du prix des actifs sur les marchés. Les appels de marge peuvent avoir des effets ambigus sur le marché, car ils provoquent des externalités négatives de liquidation”, explique Bruno Biais. Entre équilibre et optimum Après avoir constaté ces externalités négatives, les chercheurs ont analysé les différences entre équilibre et optimum. “L’équilibre du marché n’est pas un optimum de Pareto, en raison de ces externalités négatives. En effet, quand un vendeur de CDS cède des actifs, les prix de ces derniers baissent, ce qui affecte les autres acteurs financiers. Pour corriger ces imperfections de marché, les régulateurs doivent apporter des solutions. ils peuvent notamment instaurer des limites de positions agrégées pour les vendeurs de CDS. Cette mesure permettrait de réduire l’aléa moral et les risques de contagion”, recommande Bruno Biais. Méthodologie La contribution méthodologique et inédite de cet article de recherche est d’étudier l’équilibre d’un marché dans lequel sont négociés des contrats optimalement conçus par les acheteurs et les vendeurs. Les parties définissent ainsi un contrat optimal du point de vue privé, notamment en ce qui concerne les appels de marge. L’intégration de cette interaction bilatérale dans un équilibre de marché fait apparaître des externalités négatives. C’est pour corriger ces externalités que les auteurs formulent des recommandations pour les régulateurs. LCH : une gestion des risques en constante évolution Depuis la crise financière de 2007-2009, les chambres de compensation (CCP) ont pris davantage d’importance sur les marchés financiers pour gérer les risques de contrepartie. Pour y voir plus clair dans le fonctionnement de ces CCP, Mohamed Selmi, responsable de la méthodologie et de la modélisation des risques chez LCH, l’un des acteurs majeurs dans ce domaine en europe, ainsi que son adjoint, Julien Dosseur Dutouquet, ont répondu aux questions de l'Institut Louis Bachelier dans les locaux de LCH à Paris. Comment fonctionne une CCP en général et LCH en particulier ? Ce sont des acteurs qui ont pour rôle de compenser des produits dérivés ou vanilles sur différentes classes d’actifs. Concrètement, une CCP s’intercale entre les deux parties de la transaction. En d’autres termes, les membres d’une CCP externalisent le risque de contrepartie auprès d’elle, contrairement aux opérations non compensées centralement dans lesquelles les deux parties portent elles-mêmes le risque de contrepartie. En cas de défaut de l’un de nos membres, nous honorons la bonne fin des transactions pour les membres non-défaillants et assurons ainsi la continuité des marchés financiers. Le portefeuille du défaillant est liquidé par la CCP grâce aux dépôts de marge et sa contribution au fond de défaut. Justement, pourriez-vous décrire les différents dépôts de marge que vous exigez ? Il y a d’abord un dépôt de marge initiale, calculé chaque jour, par nos membres qui sont censés capturer le risque de marché sur la durée supposée de détention en cas de liquidation du portefeuille. Il y a aussi des dépôts de marge additionnelle – qui rentrent dans les appels de marge calculés plusieurs fois par jour – pour gérer par exemple les variations de marché des actifs du portefeuille, le risque de liquidité et de concentration, le risque souverain, le risque de crédit, le wrong way risk. Et quid de votre fonds de garantie ? Au-delà des différentes marges individuelles, notre fonds de garantie, alimenté par nos membres, permet de mutualiser le risque de contrepartie. Il est calibré sur des évènements extrêmes qui peuvent être historiques, théoriques et ad hoc. Son rôle est d’absorber les pertes d’un membre si ses marges sont insuffisantes. Quelle est votre méthode pour calculer les contributions des membres au fonds de garantie ? Le règlement EMIR impose la règle dite du cover two, c’est-à-dire que le fonds de garantie doit couvrir le défaut du plus gros membre de la CCP ou le défaut conjoint du deuxième et troisième membre. chez LCH, nous avons fait le choix d’être plus conservateur : notre fonds de garantie couvre le défaut simultané de nos deux plus gros membres sur chaque classe d’actifs. Du coup, quel est votre schéma d’allocation des pertes ? En cas de défaut d’un membre, nous liquidons son portefeuille dans des contraintes de temps que nous nous imposons dans nos modèles. Si jamais les marges du membre défaillant ne compensent pas ses pertes, nous prenons sa contribution au fonds de garantie. Si ce coussin n’est toujours pas suffisant, le capital de lchs’intercale dans le fonds de garantie avant de toucher aux contributions des autres membres non défaillants dans le cadre d’un alignement d’intérêts. les contributions au fonds de garantie des autres membres ne sont ensuite atteintes que si les trois outils précédents ne permettent pas d’absorber les pertes du membre en défaut. Nous avons également la possibilité de demander à nos membres des contributions supplémentaires au fonds de garantie, si nécessaire. Toutefois, nous n’avons jamais eu besoin de toucher aux contributions des membres non défaillants au fonds de garantie. Les pertes d’un membre en défaut ont toujours pu être compensées par ses ressources. Enfin, notre organisation est basée sur une séparation des services entre classes d’actifs (repo, actions et dérivés listés, CDS matières premières, swaps de taux, devises, …) qui disposent chacun de leurs propres marges et de fonds de garantie. Les contributions des membres opérant par exemple sur les CDS ne peuvent donc pas être prises pour compenser les pertes d’un membre évoluant sur les actions et dérivés. Dans le cas d’un membre défaillant, actif sur plusieurs services, ses marges en excès sur l’un des marchés peuvent être utilisées pour absorber les pertes résiduelles sur un autre. Comment s’effectue la sélection de vos membres ? Nous disposons d’une équipe qui effectue l’analyse crédit de nos membres, avec des notations spécifiques. Ces dernières permettent d’élaborer les critères de sélection de nos membres. En cas de détérioration de la qualité de crédit d’un membre, des marges ad hoc peuvent être appelées. Quels types de tests internes effectuez-vous ? Nous avons une batterie de tests internes qui ont différentes périodicités (quotidienne, hebdomadaire, mensuelle) pour évaluer la robustesse et la performance de nos modèles. les backtests sur les portefeuilles sont effectués quotidiennement sur les bases de données historiques. Cela nous permet de vérifier si nos marges ont été suffisantes au cours des mois précédents. si ce n’est pas le cas, nous pouvons ajuster notre modélisation. Par ailleurs, nous faisons des tests de sensibilité sur les paramètres de nos modèles. En outre, nous procédons à des reverse stress tests tous les jours pour analyser nos modèles en cas de scénario extrême, comme un choc de marché ou le défaut simultané de plusieurs membres qui pourrait consommer notre fonds de garantie. Enfin, nos différents modèles doivent être audités de manière indépendante au moins une fois par an et sont soumis aux régulateurs. Quels ont été les résultats des stress tests sur 17 CCP en Europe publiés fin avril par l’Esma, le régulateur européen ? Globalement, les résultats sont très satisfaisants et démontrent la résilience des CCP en Europe. Le scénario le plus catastrophique comprenait le défaut de 32 membres en Europe et des chocs extrêmes de marché. Selon ces hypothèses, les pertes s’élèveraient à 4 milliards d’euros au-delà des marges et des fonds de garantie des CCP. Ce scénario a été jugé non plausible par l’Esma. Pour conclure, de quelle manière gérez-vous les questions liés à la procyclicité des marchés ? C’est un sujet épineux, car, quand les marchés sont calmes, la volatilité est faible, ce qui réduit mécaniquement les dépôts de marge. Lorsque les marchés sont agités, c’est le contraire qui se produit avec une hausse des dépôts de marge. Dans ce dernier cas de figure, en déposant des marges supplémentaires, les membres peuvent faire face à une baisse de leur liquidité. Dans notre politique interne, nous prenons en compte ces aspects – en particulier via l’existence de “coussins” de marge visant à absorber une partie de la volatilité – de manière à minimiser ce phénomène de procyclicité. Les objectifs étant de ne pas provoquer d’effet de contagion. Néanmoins, la réglementation ne donne pas encore de mesure de procyclicité harmonisée entre les différentes CCP. Des réflexions sur ce sujet sont actuellement en cours. Montant des transactions compensées par le groupe LCH dans le monde : Cleared Transactions 2015 2014 Cash Equities : Trades (in million) 549,1 452,3 Listed Derivatives : Contracts (in million) 142,8 176,8 Fixed Income : Notional (in € trillion) 72,6 73,4 CDSClear : Notional (in € billion) 172,8 61,9 ForexClear : Notional (in $ billion) 1 049,6 907,3 SwapClear : Notional (in $ trillion) 532,8 641,9 Source : LCH group Comment réduire le risque de contrepartie sur les produits dérivés de gré à gré non compensés centralement ? La crise financière a mis en lumière l’importance du risque de contrepartie des marchés de produits dérivés de gré à gré non compensés centralement. Ces derniers font d’ailleurs l’objet de nouvelles réglementations pour définir des niveaux de garantie adéquats permettant de gérer efficacement le risque systémique bancaire. D’après l’article “Initial margin for non-cleared OTC derivatives”, écrit par Dominic O’Kane, ainsi qu’un entretien avec ce dernier. Le mois de septembre 2008 a constitué un tournant pour la finance internationale : les bilans de nombreux acteurs du secteur sont connectés par plusieurs milliers de produits dérivés complexes qui se négocient de gré à gré – c’est-à-dire hors d’un marché organisé – et surtout ne sont pas compensés centralement. Résultat : les risques de contrepartie se sont multipliés – avec la faillite de plusieurs banques – et une contagion d’ordre systémique n’a été évitée que de justesse grâce à l’intervention des Etats. Face à cette menace, les régulateurs internationaux, via le G20 de Pittsburgh de septembre 2009, ont adopté des mesures pour réduire les risques associés aux produits dérivés échangés de gré à gré. “Depuis la crise financière, les régulateurs ont divisé le marché des dérivés de gré à gré en deux catégories. la première implique des produits dérivés standardisés transitant par des chambres de compensation centrale, qui gèrent le risque de contrepartie en calculant les niveaux de garantie adéquats. La seconde concerne les produits dérivés de gré à gré non compensés centralement pour lesquels les deux parties, qui négocient ensemble, doivent déposer des garanties respectives, afin de se prémunir du risque de contrepartie. Mon article de recherche analyse l’incidence de la régulation sur cette seconde catégorie du marché”, explique Dominic O’Kane. “Les marges initiales représentent une nouveauté qui doit se mettre progressivement en place à partir de septembre 2016” Des exigences de garanties réévaluées Pour réduire le risque de contrepartie des produits dérivés de gré à gré non compensés centralement, les régulateurs ont décidé d’exiger des dépôts de garantie plus élevés que par le passé. Si les marges de variation quotidiennes existaient déjà avant la crise, les marges initiales ou “dépôt de garantie initial” représentent une nouveauté qui doit se mettre progressivement en place à partir de septembre 2016. “Il y a une différence fondamentale entre la marge de variation et la marge initiale. La marge de variation protège la contrepartie créditrice contre le risque de faillite de la contrepartie débitrice dans le cadre de transactions financières entre deux parties. La quantité de marge de variation qui doit être transférée est facile à calculer, c’est tout simplement la valeur des positions entre les deux parties, un montant qui est calculé quotidiennement”, indique Dominic O’Kane, tout en précisant que la marge initiale est différente. “Elle protège les parties d’une perte qui pourrait résulter pendant le temps nécessaire au dénouement et au remplacement de toutes les positions en cas de défaut d’une contrepartie. Étant donné que nul ne sait à l’avance laquelle des deux contreparties fera faillite, l’échange de marge initiale doit être bilatéral. Par ailleurs, la taille de la perte ne peut pas être connue, car elle dépend de divers facteurs, en particulier la volatilité des instruments sous-jacents”. Une autre différence entre marge de variation et marge initiale s’illustre sur la liquidité. De fait, les sûretés mises à disposition pour la marge de variation peuvent être réutilisées, contrairement à celles insérées dans les marges initiales, réduisant ainsi la liquidité des deux contreparties. Dès lors, le défi pour les banques et les autres acteurs financiers est de parvenir à une méthodologie fiable et harmonisée pour calculer ce montant initial de garantie. Cette tâche a été prise en charge par les régulateurs. Des modèles pour calculer les marges initiales Le comité de Bâle sur la supervision bancaire et l’organisation internationale des commissions de valeurs (connue sous l’acronyme anglais IOSCO) ont constitué un groupe de travail sur les exigences de marges (WGMR). Son objectif a été de définir des méthodes pour calculer les marges initiales sur l’ensemble des transactions entre deux parties sur des produits dérivés de gré à gré non compensés centralement. Après une période de réflexion, le WGMR a retenu deux approches distinctes. La première est basée sur un barème standardisé. Après l’avoir étudiée, Dominic O’Kane a observé qu’elle “ne reflétait pas la diversification des transactions et ne traitait pas efficacement le cas spécifique des options. Pour un portefeuille typique, les montants des marges initiales sont trop élevés et ont donc une faible corrélation avec les risques couverts”, souligne-t-il. Pour sa part, la seconde approche permet le calcul de la marge initiale avec un modèle quantitatif qui respecte les critères imposés par le WGMR et qui peut refléter la diversification des transactions, et surtout le risque des produits comme les options. “selon le WGMR, les marges initiales correspondent à un intervalle de confiance unilatéral de 99 % sur une période de 10 jours”, souligne Dominic O’Kane. “Cette approche est préférable. Toutefois, puisque le WGMR n’a pas étroitement défini un modèle exact, chaque contrepartie peut créer son propre modèle, qui engendre un coût et doit être approuvé. Pour éviter des disputes, les contreparties peuvent adopter un de leurs deux modèles ou mettre en place des protocoles de règlement”, ajoute-t-il. Un modèle standard défini par l’ISDA C’est pour cette raison que l’association internationale sur les échanges de produits dérivés (ISDA) a développé son propre modèle quantitatif qui permet de calculer les marges initiales. Celui-ci pourrait devenir la norme dans le secteur financier s’il était approuvé par les régulateurs nationaux. “Ce modèle est conforme à la méthodologie proposée par le WGMR. Il est sophistiqué, car il comprend les risques des marchés actions, devises, taux d’intérêt et crédits. Il est aussi rapide à calculer, ce qui est important si la marge initiale doit être calculée quotidiennement, et même en temps réel”, conclut Dominic O’Kane. Méthodologie Après avoir résumé et expliqué les réglementations en vigueur sur les marchés des produits dérivés de gré à gré non compensés centralement, Dominic O’Kane a examiné l’approche basée sur un barème standardisé. Il a ensuite étudié l’étalonnage des modèles quantitatifs selon les critères développés par le WGMR à travers les marchés actions, devises, taux d’intérêts et crédit. Il a conclu son article avec des pistes de recommandations permettant de mieux calibrer les marges initiales en fonction des risques de contrepartie.
La Fédération bancaire française (FBF) a été une des premières associations professionnelles à soutenir, dans le cadre de l’institut Europlace de Finance, des chaires de recherche dédiées aux réflexions académiques sur les marchés financiers : la chaire “chaîne de valeur, marchés financiers et banque d’investissement”, en partenariat avec l’institut d’economie industrielle (IDEI) ; la chaire “les innovations et la régulation dans la banque d’investissement”, en collaboration avec l’EDHEC Business school, et la chaire “Marchés en mutation”, avec l’École Polytechnique et l’université d’Évry. Cette démarche répond à la fois au rôle de leader qu’occupent les banques françaises au niveau européen sur ces activités de marchés et à la notoriété internationale de la recherche française. L’ensemble des études produites par les trois chaires FBF font l’objet d’ateliers de discussions entre les universitaires et les professionnels des banques. Cette dynamique crée ainsi les conditions d’un dialogue indispensable entre la recherche académique et le monde bancaire. La crise financière a, en effet, mis sous le feu des projecteurs l’importance des marchés de produits dérivés de gré à gré compensés et non compensés, ainsi que leur utilité économique pour les entreprises et les investisseurs, afin de maîtriser les risques de financement et de placement sur les marchés financiers. Conformément aux accords du G20, la réglementation européenne dite eMirsur les produits dérivés négociés de gré à gré, sur les contreparties centrales et les référentiels centraux a défini les règles et les niveaux de garantie permettant de gérer efficacement le risque des opérateurs. Le présent cahier est l’occasion de valoriser et de révéler les dernières réflexions des chaires FBF sur le risque de contrepartie, les chambres de compensation et l’activité des banques sur les produits dérivés. Vous y trouverez ainsi des réponses développées par les chercheurs académiques aux questions fondamentales suivantes : comment répartir efficacement les risques dans un système financier interconnecté et l’évaluation du coût du risque de contrepartie pour un membre d’une chambre de compensation ? Comment les appels de marge agissent-ils sur les prix d’équilibre et comment réduire le risque de contrepartie sur les produits dérivés de gré à gré non compensés centralement ? Par ailleurs, ce numéro donne pour la première fois la parole à des professionnels qui livrent leurs regards de “praticiens”, en examinant la modélisation des risques chez LCH, un des organismes de compensation les plus importants sur le continent. Toutes ces interrogations sont essentielles pour préserver la stabilité financière sans brider les innovations. Bonne lecture ! Marie-Anne BARBAT-LAYANI Directrice Générale de la FBF