+ Ajouter à ma sélection Viager : de nouvelles offres pour de nouveaux clients ? 15 Déc. 2014 Actualités Dossier Dans un contexte de vieillissement de la population et de baisse des pensions, le viager tente de changer son image et de convaincre, particuliers et institutionnels, de ses atouts. Le viager serait-il en train de refaire surface ? Depuis deux ans, de nouvelles offres sont en train de voir le jour. La dernière en date émane de la Caisse des dépôts et consignations. Alors que le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement (dont l’entrée en vigueur est prévue pour 2015) souligne l’importance de la question du logement, la CDC a créé, en septembre dernier, un fonds de 120 millions d’euros porté avec huit autres investisseurs. Dédié à l’achat de biens en viager occupé, le véhicule marque l’entrée d’institutionnels de renom sur ce marché. D’autres initiatives ont également vu le jour. L’Union Mutualiste Retraite, par exemple, propose une offre de viager mutualisé depuis 2012. Baptisé Coremimmo, le fonds est toutefois plus modeste que celui de la CDC (40 millions d’euros) et réservé aux adhérents de la mutuelle : seuls les clients retraités peuvent vendre leur résidence au fonds. De son côté, 123venture, une société de capital investissement, a lancé la même année une Sicav dédiée au viager ; un produit cette fois abondé par des particuliers. Des seniors majoritairement propriétaires Si l’apparition de ces produits a pu surprendre, elle se justifie par un environnement démographique et économique plutôt propice. La société française est vieillissante : 30% de la population aura plus de 60 ans en 2040 ; et les seniors sont majoritairement propriétaires. Selon l’Insee, 72 % des personnes de plus de 70 ans possèdent leur habitation. En parallèle, les montants des pensions diminuent avec la succession des réformes des retraites, tandis que les dépenses liées à l’allongement de la vie augmentent. Dans un tel contexte, le viager apparaît comme une solution offerte aux seniors pour conserver l’usage de leur logement tout en augmentant leurs revenus. Pour rappel, le contrat consiste à vendre un bien en recevant une partie cash (le bouquet) ainsi qu’une rente mensuelle. L’acheteur récupère ensuite l’appartement ou la maison au décès du vendeur. Séduisant sur le papier, le viager reste en réalité très confidentiel. Les chiffres officiels manquent mais les estimations tournent autour de 4000 à 5000 transactions par an[1], essentiellement en Ile de France et région PACA. Un « pari» sur la mort mal perçu par les individus, une réticence des vendeurs à céder la résidence familiale, une crainte des acheteurs de surpayer un bien, les freins sont nombreux. Reste à savoir si l’arrivée de nouveaux acteurs suffira à redonner de l’élan à ce marché. [1] Friggit Jacques, Les ventes de logements anciens en viager, 2000-2006, février 2008; Les viagers immobiliers en France (2008), Étude du Conseil économique et social; estimations CDC « Le viager ne cible qu’une petite part de la population » Jim Ogg est chercheur à l'unité de recherche sur le vieillissement de la CNAV. Il fait le point sur l’usage du viager en Europe. Vous étudiez notamment la problématique du logement chez les retraités. Le viager est-il un dispositif couramment utilisé en Europe ? La vente en viager entre deux particuliers est assez spécifique à la France. Par contre, les systèmes de prêts viagers hypothécaires, commercialisés par les banques, sont assez développés en Europe du Nord. Le fonctionnement est simple : l’individu perçoit un capital garanti par son logement, dont il reste propriétaire. Le remboursement du prêt (capital et intérêts) s’effectue lors de la vente du bien, au décès de la personne. Si le produit demeure assez marginal sur l’ensemble du marché immobilier, il fonctionne toutefois mieux qu’en France. Au Royaume-Uni par exemple, près de 30 000 prêts ont été signés en 2006, un chiffre qui est descendu aux environs de 12 000 en 20101. Il faut dire que les anglo-saxons sont moins attachés à la pierre et déménagent d’ailleurs plus souvent que les Français. Comment ce concept s’est-il développé ? Le concept s’est rependu dans les années 80 lorsque les valeurs immobilières ont fortement augmenté. Les anglo-saxons appellent cela « l’equity release scheme » ou l’utilisation de la liquidité d’un bien immobilier pour consommer davantage. Des hypothèques classiques, sont nés d’autres produits comme le prêt viager. Puis, plus récemment, l’État est intervenu pour demander aux établissements financiers de rendre le produit plus souple afin, notamment, de garantir le versement d’une partie de la valeur du bien aux héritiers du propriétaire après le décès de ce dernier. En France, la CDC, accompagnée d’autres investisseurs, a lancé un fonds viager mutualisé. Quel regard portez-vous sur cette initiative ? Avec le lancement d’un fonds intermédié, la CDC se rapproche de ce qui se pratique au Royaume-Uni. L’objectif est d’accroître la confiance des particuliers vendeurs, comme des investisseurs en garantissant des bonnes pratiques. L’initiative est intéressante, d’autant plus qu’elle prévoit la possibilité de désigner les héritiers comme acheteurs prioritaires. C’est un élément qui me semble important car en ligne avec les demandes des individus. Le viager est parfois présenté comme un produit « miracle » pour doper le niveau de vie des retraités. Mais tous les seniors n’ont pas accès à ce dispositif… Effectivement. Le viager exclue de fait les locataires, notamment les plus modestes d’entre eux qui occupent un logement social. D’autre part, les acheteurs sont intéressés uniquement par des biens d’une certaine valeur et situés dans une zone attractive. Les propriétaires de résidences modestes, en milieu rural ou péri-urbain, ne sont pas concernés. Au final, le viager ne cible qu’une petite part de la population, et doit donc être vu comme une solution parmi d’autres pour augmenter les revenus des retraités. Il serait, par exemple, intéressant d’encourager la mobilité immobilière. Les seniors sont en effet particulièrement sédentaires. Pourtant, vendre la maison familiale et s’installer dans une habitation plus petite est parfois la solution la plus simple et efficace. 1Source : Safe Home Income Plans 20th Report 2011 « Les freins sont liés à la psychologie des individus» Laurent Linnemer, professeur au Crest, a réalisé une étude1 sur le partage d’information entre vendeurs et acheteurs en viager. Il explique ses conclusions. Un contrat viager se base sur l’estimation de l’espérance de vie du vendeur pour établir le montant de la rente. Mais l’acheteur est-il réellement en mesure de faire cette estimation ? Le vendeur est nécessairement mieux informé sur sa santé… C’est une hypothèse souvent formulée. Le marché du viager serait peu développé car vendeurs et acheteurs ne disposeraient pas de la même information. Un célèbre article de l’économiste George Akerlof (1970) étudie ces cas d’asymétrie d’information. Lorsque les vendeurs ne peuvent pas transmettre directement aux acheteurs de l’information sur la qualité de leurs produits, le prix du marché est le seul élément d’information disponible. Mais ce prix ne reflète que la valeur d’un bien de qualité moyenne. George Akerlof2 a montré que, dans de telles situations, le nombre de transactions est fortement réduit. Dans le cadre du viager, si les paramètres du contrat sont calculés selon les tables de mortalité, tous les vendeurs d’un même sexe et d’un même âge devraient vendre à un prix identique. Dans ces conditions, seuls les vendeurs, pensant posséder une espérance de vie supérieure à la moyenne, accepteraient de signer un viager. Anticipant cela, les acheteurs augmentent l’espérance de vie utilisée dans les contrats, ce qui réduirait le montant des rentes et ferait fuir les vendeurs… Par analogie avec le modèle d’Akerlof, l’asymétrie d’information sur l’espérance de vie du vendeur pourrait donc expliquer la petite taille du marché du viager. Dans votre étude, vous invalidez finalement cette hypothèse… En effet, nous arrivons à la conclusion que vendeurs et acheteurs disposent d’une information symétrique sur l’espérance de vie du vendeur. En outre, le marché du viager ne correspond pas à la situation décrite par Akerlof. Pour un viager, le vendeur fixe librement le prix de son bien tandis que le prix est donné par le marché dans le modèle d’Akerlof. Quels sont les vrais freins au développement du viager ? D’un point de vue économique, une fois l’asymétrie d’information écartée, nous ne voyons pas de freins au développement du viager. Les raisons seraient plutôt liées aux comportements et à la psychologie des individus. Les vendeurs potentiels n’auraient pas recours au viager afin de ne pas priver les héritiers du bien vendu. En réalité, un vendeur peut parfaitement réaliser une donation à ses héritiers grâce au bouquet du viager. Par ailleurs, le viager est encore perçu comme un pari sur l’espérance de vie. Or dans notre culture, ce type de pari porte malheur. Enfin, les vendeurs potentiels peuvent tout simplement être mal informés sur ce produit et penser, à tort, que ce type de contrat ne leur correspond pas. Selon vous, que faudrait-il faire pour développer ce marché ? Il faudrait d’abord changer son image. Aujourd’hui, il est essentiellement perçu comme un ultime recours en cas de problème de financement. Le viager est donc entaché d’un double péché originel : avoir mal géré sa vie financière et priver ses héritiers de la valeur du bien vendu. Pour un économiste, en revanche, le vendeur en viager utilise simplement un outil original pour maximiser l’utilité de son bien en minimisant les coûts de transactions. Il accélère la transmission d’un capital tout en continuant à vivre dans l’appartement vendu. Quel regard portez-vous sur le lancement d’un fonds viager par la CDC et des partenaires institutionnels ? Le viager est un placement financier à long terme (10 – 20 ans) et à rendement incertain. Un acheteur isolé prend donc plus de risques qu’un gros acheteur ayant la capacité d’acquérir un portefeuille diversifié de biens. Un autre avantage du fonds est que la transaction n’est plus entre deux personnes et que les facteurs psychologiques peuvent éventuellement être réduits selon la manière dont les transactions seront organisées. Ce fonds n’est donc pas une surprise pour un économiste. En pratique, évidemment, le succès d’un tel fonds dépendra de la qualité de son équipe qui doit combiner de bons actuaires à de bons connaisseurs du marché immobilier. 1Février, Philippe ; Linnemer, Laurent et Visser, Michael (2012) “Testing for asymmetric information in the viager market’’ Journal of Public Economics, Volume 96, Issues 1-2, (February) pp. 104-123. 2Akerlof, George (1970) “The market for” lemons”: Quality uncertainty and the market mechanism’’ « Un fonds mutualise le risque de longévité » En septembre, la Caisse des Dépôts et huit autres investisseurs ont lancé Certivia, un fonds de 120 millions d’euros dédié au viager. Xavier Lépine, Président du Directoire du Groupe La Française, en charge de la gestion du fonds Certivia présente sa stratégie. Le viager existe depuis longtemps en France mais demeure très confidentiel. Quelles sont les raisons qui vous font croire au succès du fonds Certivia ? Le viager traditionnel, qui place deux particuliers en face à face, souffre d’une dissymétrie dans son fonctionnement. L’acheteur doit faire face à deux inconnues : l’âge du décès du crédit rentier (vendeur) et la valeur qu’aura le bien immobilier à ce moment-là. Pour ces raisons, le produit ne s’adresse qu’à un public très limité, capable d’assumer ces deux risques. La création d’un fonds rend la logique très différente puisqu’elle mutualise le risque de longévité. S’inscrivant sur le long terme, le produit ne spécule pas sur la mort d’un individu mais se fonde sur une courbe démographique. Au bout de 3-4 ans, le viager mutualisé devient ainsi un produit d’épargne classique, avec des revenus générés par les premières ventes et une espérance de rendement de l’ordre de 5-6%, rendement comparable à celui des bureaux mais sur des natures de risque très différents et donc apportant une réelle diversification de risque aux investisseurs. Pensez-vous que l’initiative de ce fonds puisse redynamiser le marché du viager dans son ensemble ? Selon moi, le viager entre deux particuliers restera toujours assez confidentiel. Par contre, le développement du viager mutualisé pour des institutionnels, comme pour des particuliers, est parfaitement envisageable. L’entrée d’investisseurs reconnus doit d’ailleurs accroître la visibilité du viager tout en améliorant les pratiques de marché. L’urbanisation et le vieillissement de la population redonnent de l’intérêt à ce produit. Les retraites diminuent tandis que les enfants attendent de plus en plus longtemps avant de toucher leur héritage. Le viager permet de transmettre une partie de son patrimoine de son vivant, via le versement du bouquet, tout en restant à domicile avec un revenu supplémentaire et une sortie totale du coût du logement (le crédit rentier n’étant plus propriétaire il n’a plus à entretenir les parties communes et à payer les taxes foncières), compensant ainsi la baisse du pouvoir d’achat des retraités. En ce sens, il répond à un vrai besoin social. Neuf investisseurs institutionnels composent actuellement le tour de table de Certivia pour un montant total de 120 millions d’euros. Comment s’est déroulée la levée de fonds ? Les institutionnels se montrent intéressés. De nouvelles souscriptions pourraient d’ailleurs augmenter la taille du fonds à 150 millions d’euros au cours du premier semestre 2015. Les investisseurs sont attirés par le cash flow atypique du fonds. Ce dernier ne génère un revenu qu’une fois les premiers appartements mis en vente, mais fournit, ensuite, un rendement sur le long terme, la durée de vie étant de 25 ans. Les caisses de retraite, notamment, apprécient ce profil de cash car elles savent que leurs dépenses seront plus fortes dans les années à venir. En outre, les produits sans risque, comme les obligations, affichent aujourd’hui des taux très bas ce qui rend le viager mutualisé très compétitif. Enfin, l’immobilier demeure peu impacté par Solvabilité II en termes d’obligation de réserve de fonds propres ; un atout supplémentaire pour les assurances soumises à cette réglementation. Quels sont les avantages du viager par rapport aux investissements immobiliers traditionnels ? Pour un particulier, un fonds viager permet d’investir dans l’immobilier en dehors des mesures d’incitations fiscales, souvent peu rentables. Plus généralement, le fait de ne payer, à la signature du contrat, qu’un pourcentage du prix de l’appartement protège en partie l’acheteur d’une baisse de l’immobilier. Le viager constitue également une diversification à l’immobilier de bureau. Dans les deux cas, le produit s’appuie sur un actif réel, ce qui est plutôt rassurant pour les investisseurs, mais avec des profils de rendement différents et largement complémentaires.
Dans un contexte de vieillissement de la population et de baisse des pensions, le viager tente de changer son image et de convaincre, particuliers et institutionnels, de ses atouts. Le viager serait-il en train de refaire surface ? Depuis deux ans, de nouvelles offres sont en train de voir le jour. La dernière en date émane de la Caisse des dépôts et consignations. Alors que le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement (dont l’entrée en vigueur est prévue pour 2015) souligne l’importance de la question du logement, la CDC a créé, en septembre dernier, un fonds de 120 millions d’euros porté avec huit autres investisseurs. Dédié à l’achat de biens en viager occupé, le véhicule marque l’entrée d’institutionnels de renom sur ce marché. D’autres initiatives ont également vu le jour. L’Union Mutualiste Retraite, par exemple, propose une offre de viager mutualisé depuis 2012. Baptisé Coremimmo, le fonds est toutefois plus modeste que celui de la CDC (40 millions d’euros) et réservé aux adhérents de la mutuelle : seuls les clients retraités peuvent vendre leur résidence au fonds. De son côté, 123venture, une société de capital investissement, a lancé la même année une Sicav dédiée au viager ; un produit cette fois abondé par des particuliers. Des seniors majoritairement propriétaires Si l’apparition de ces produits a pu surprendre, elle se justifie par un environnement démographique et économique plutôt propice. La société française est vieillissante : 30% de la population aura plus de 60 ans en 2040 ; et les seniors sont majoritairement propriétaires. Selon l’Insee, 72 % des personnes de plus de 70 ans possèdent leur habitation. En parallèle, les montants des pensions diminuent avec la succession des réformes des retraites, tandis que les dépenses liées à l’allongement de la vie augmentent. Dans un tel contexte, le viager apparaît comme une solution offerte aux seniors pour conserver l’usage de leur logement tout en augmentant leurs revenus. Pour rappel, le contrat consiste à vendre un bien en recevant une partie cash (le bouquet) ainsi qu’une rente mensuelle. L’acheteur récupère ensuite l’appartement ou la maison au décès du vendeur. Séduisant sur le papier, le viager reste en réalité très confidentiel. Les chiffres officiels manquent mais les estimations tournent autour de 4000 à 5000 transactions par an[1], essentiellement en Ile de France et région PACA. Un « pari» sur la mort mal perçu par les individus, une réticence des vendeurs à céder la résidence familiale, une crainte des acheteurs de surpayer un bien, les freins sont nombreux. Reste à savoir si l’arrivée de nouveaux acteurs suffira à redonner de l’élan à ce marché. [1] Friggit Jacques, Les ventes de logements anciens en viager, 2000-2006, février 2008; Les viagers immobiliers en France (2008), Étude du Conseil économique et social; estimations CDC