Le vote éthique dans divers contextes de démocratie : une contribution à la nouvelle économie politique.

Auteurs Date de publication
2007
Type de publication
Thèse
Résumé La Nouvelle Économie Politique1 repose sur le postulat de l'homo politicus que Downs (1957) présente comme le clone de l'homo oeconomicus, un agent rationnel mo- tivé par la maximisation de son intérêt matériel. Goodin et Roberts (1975) ont été les firts à proposer une alternative au postulat de l'homo politicus en introduisant la notion d'" électeur éthique " 2. L'" électeur éthique " décrit un agent rationnel qui n'est pas seulement motivé par la maximisation de son intérêt matériel personnel à court terme mais aussi par la promotion de ce qu'il considère comme juste pour la société dans son ensemble. Jusqu'à présent, il n'y a eu que quelques tentatives de modélisation du "vote éthique". La plupart d'entre elles assimilent le "vote éthique" au fait de se préoccuper du bien-être du pire-off lors du vote (voir Snyder et Kramer (1988), Kranich (2001) et Galasso (2003)). Alesina et Angeletos (2005) constituent une exception. Suivant les théories de la justice basées sur la responsabilité, ils supposent que les individus partagent la conviction que l'on mérite le revenu sur la base de sa compétence et de son effort et que seule la chance crée des differences injustes qu'ils sont par conséquent prêts à compenser. Cependant, la 'coupe de responsabilité' (Dworkin (1981)) utilisée par Alesina et Angeletos (2005) manque de justification, si l'on considère la littérature théorique sur la redistribution équitable ou la littérature empirique sur les opinions individuelles sur la justice distributive. Je propose d'analyser le 'vote éthique' d'une manière plus complète. Le fil conducteur de ce travail est une 'fonction d'utilité équitable'. Plus précisément, je spécifie dans le document 1 une " fonction d'utilité équitable " pour modéliser le trade-off des citoyens entre leur intérêt personnel et certaines de leurs principales préoccupations en matière d'équité. Les papiers 2 et 3 s'appuient sur la 'fonction d'utilité équitable' pour étudier le comportement de vote sur la (re)distribution des surplus économiques dans des contextes differents de démocratie4. Dans le papier 2, mon co-auteur et moi calculons l'équilibre politico-économique qui émerge lorsque les citoyens sont dotés de la " fonction d'utilité équitable ". Nous modélisons le cadre institutionnel d'une démocratie occidentale typique où les clivages politiques sont principalement basés sur le revenu. Dans l'article 3, j'estime la "fonction d'utilité équitable". Je base mon estimation sur des données d'enquête que j'ai recueillies dans une démocratie ethniquement polarisée où les clivages politiques sont principalement basés sur l'ethnicité. Le papier 1 cherche à savoir si les préoccupations d'équité influencent les résultats agrégés dans les interactions de la vie réelle, de sorte que l'analyse économique devrait compléter le postulat de l'homo economicus par le postulat de l'homo ethicus. Je réalise une analyse en trois étapes répondant aux questions de recherche suivantes : - Quels sont les principaux soucis d'équité que les individus sont capables de manifester ? - Ces préoccupations pour l'équité influencent-elles le résultat agrégé dans le field éco- nomique ? - Ces préoccupations pour l'équité influencent-elles le résultat agrégé dans le field po- litique ? Sur la base de preuves expérimentales, j'identifie trois préoccupations principales pour l'équité susceptibles d'influencer les comportements individuels en plus de l'intérêt personnel : l'altruisme utilitaire, l'altruisme " rawlsien " et la sensibilité au désert. L'altruisme utilitaire consiste à maximiser la somme de toutes les utilités. L'altruisme " rawlsien " consiste à maximiser l'utilité du pire-off. La sensibilité au désert consiste à pondérer ses préoccupations d'équité envers autrui, qu'il s'agisse de préoccupations altruistes utilitaires ou de préoccupations altruistes 'rawlsiennes', en fonction du caractère méritant de cet autrui au regard de ses caractéristiques de responsabilité. Je finds que les préoccupations pour l'équité n'ont aucun impact sur les résultats agrégés du marché, que je me concentre sur les marchés impliquant des contrats complets ou sur les marchés impliquant des contrats incomplets. Je fournis des preuves que les préoccupations pour l'équité ont un impact significant sur les résultats agrégés po- litiques. Plus particulièrement, les préoccupations pour l'équité (altruisme utilitaire, altruisme " rawlsien " et sensibilité au désert) semblent s'exprimer à travers la position des citoyens sur une échelle de libéralisme/conservatisme, ce qui a finalement un impact sur leur comportement électoral. Cependant, les preuves montrent également que les préjugés ethniques, une motivation sans ambiguïté injuste, constituent un sérieux défi aux préoccupations individuelles d'équité, même dans le contexte démocratique occidental où les partis politiques sont officialement divisés selon des lignes basées sur le revenu, et non sur l'ethnie. Mes findings suggèrent que la théorie économique en général (et la nouvelle économie politique en particulier) devrait accorder plus d'attention à la modélisation des comportements de vote éthique pour améliorer son pouvoir explicatif et prédictif. Je propose une " fonction d'utilité équitable " provisoire pour modéliser le trade-off des citoyens entre leur intérêt personnel et les trois différentes préoccupations d'équité que sont l'altruisme utilitaire, l'altruisme " rawlsien " et la sensibilité au désert. - Quel est l'équilibre politico-économique émergeant dans une société où les individus sont dotés de la " fonction d'utilité équitable " ? Nous étudions un modèle de vote simple où une parame- ter redistributive unidimensionnelle est choisie par un vote majoritaire dans une démocratie directe où les clivages politiques sont basés sur le revenu. Nous permettons des hétérogénéités dans les productivités et les préférences pour la consommation et les loisirs et nous incorporons les effets incitatifs de la taxation. Nous montrons que dans une société où les préférences altruistes sont sensibles au désert, (i) des niveaux strictement inférieurs de redistribution émergent en équilibre politique par rapport à une société où les préférences altruistes ne sont pas sensibles au désert et (ii) des niveaux inférieurs ou égaux de redistribution émergent en équilibre politique par rapport à une société où les préférences pour la redistribution sont purement égoïstes. Nous étudions ensuite la question de recherche suivante : - Notre résultat théorique peut-il contribuer à expliquer les differences entre le contrat social américain et le contrat social européen ? En utilisant les données du programme international d'enquête sociale (ISSP) 1992, nous fournissons des preuves empiriques que : (i) les préférences pour la redistribution ne sont pas purement égoïstes, (ii) la sensibilité au désert induit un soutien plus faible à la redistribution et (iii) les différences de sensibilité au désert tiennent entre les deux continents, induisant un soutien plus faible à la redistribution chez les Américains par rapport aux Européens. Nous voyons deux explications apparentes permettant de comprendre pourquoi les préférences pour la redistribution sont plus sensibles au désert chez les individus aux Etats-Unis que chez les individus en Europe (voir Alesina et al. (2001) et Alesina et Glaeser (2004) pour une discussion approfondie). Tout d'abord, le mythe des États-Unis comme étant le "pays de l'opportunité" a fortement ancré ses coutumes. Pendant ce temps, les perceptions européennes sont influencées par la division historique (du Moyen Âge au XIXe siècle) de la société en classes, où la naissance et la noblesse étaient les principaux déterminants de la richesse et de la réussite. Deuxièmement, la croyance américaine en l'indigence des pauvres peut réflecter les préjugés raciaux contre la minorité noire. Les électeurs blancs pauvres pourraient réduire leur soutien à la redistribution lorsqu'ils croient que les citoyens noirs pauvres bénéficient également de la redistribution (voir Luttmer (2001) pour des preuves empiriques solides). Roemer et al. (2007) findent que les impôts marginaux sur le revenu auraient été beaucoup plus élevés lorsque les préjugés raciaux auraient été absents. Ils estiment que les préjugés raciaux sont le principal facteur sous-jacent expliquant pourquoi aux États-Unis, alors que les vingt dernières années ont été caractérisées par une forte augmentation des inégalités, les impôts marginaux sur le revenu effective ont diminué. - Dans un pays ethniquement polarisé, l'aversion pour l'in-équité interethnique incite-t-elle les citoyens à voter pour un parti promouvant une allocation équitable des ressources nationales entre les groupes ethniques?5 ou, en d'autres termes, le vote éthique peut-il contribuer à réduire les risques de conflict dans les pays ethniquement polarisés ? En m'appuyant sur des données recueillies auprès d'étudiants de l'université d'Addis-Abeba, ma réponse est triple. Premièrement, je montre que l'aversion envers les inégalités interethniques diminue de manière significative la tentation des étudiants universitaires de voter pour leur parti ethnique. Ce financement est encourageant. Dans mon hypothèse initiale selon laquelle le degré de préoccupations éthiques des étudiants universitaires constitue une limite supérieure du degré de préoccupations éthiques du citoyen moyen, ce finding suggère en effet que les préoccupations éthiques pourraient également influencer son comportement de vote. En d'autres termes, les programmes d'éducation civique à l'échelle nationale pourraient constituer une stratégie prometteuse de réduction des conflictions dans les pays ethniquement po- litisés. Finkel (2002, 2003) fournit des preuves que les programmes d'éducation civique ont un impact significant sur la "tolérance politique" des participants, alors que son concept de "tolérance politique" est proche de notre notion d'"aversion envers les inégalités interethniques". Deuxièmement, je finds que, bien que significant, l'impact relatif des préoccupations éthiques est très faible par rapport à l'impact de la loyauté envers le groupe ethnique, un déterminant important du vote ethnique. Cette finalité est décourageante car elle suggère que l'impact relatif des préoccupations éthiques sera encore plus faible à travers un échantillon plus représentatif de la population éthiopienne. En d'autres termes, le "rendement" des programmes nationaux d'éducation civique en termes de passage du vote ethnique au vote éthique devrait être faible. Troisièmement, j'analyse les déterminants sociodémographiques de la moyenne des étudiants universitaires envers l'iniquité interethnique et la loyauté envers les groupes ethniques. Je fournis la confirma- tion que certaines caractéristiques sociodémographiques spécificales augmentent significativement (i) le degré d'aversion envers l'iniquité interethnique et (ii) diminuent la loyauté envers le groupe ethnique. Ces caractéristiques ont en commun de réduire la distance "psychologique" entre les groupes ethniques, comme le fait de vivre dans une ville cosmopolite et d'avoir des parents appartenant à des groupes ethniques differents (voir Atchade et Wantchekon (2006) pour une première preuve). En outre, je finds que la loyauté envers le groupe ethnique est par- ticulièrement forte parmi les groupes ethniques qui connaissent un niveau sévère de griefs. Enfin, les preuves montrent que l'aversion envers l'iniquité interethnique dépend pos- itivement du revenu du ménage dans lequel le répondant a grandi.
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